Originaire de McComb, un bled paumé du Mississippi où les seuls moyens de survie se résumaient à la cueillette du coton et à celle du maïs, Fread Eugene Martin a rapidement quitté les belles réjouissances qui s’offraient à lui pour s’établir dès 14 ans à la Nouvelle Orléans. Alors que la plupart des noirs du Sud remontaient au Nord, Fread prenait le chemin inverse.

Durant son apprentissage, Fread tourne dans le giron de Boogie Bill Webb, un éleveur de chats dont on dit que certains finissaient dans une marmite, Jewell « Babe » Stovall, l’harmoniciste Polka Dot Slim et même Slim HARPO, mais ça c’était il y a longtemps. Depuis l’ancien hobo a quitté ses guenilles et ses salopettes pour de rutilants costumes, des chaussures deux tons, des cravates bigarrées et des chapeaux old time mais élégants. Cousin éloigné de Lightnin’ Hopkins, Fread Eugene se transforme en Little Freddie King, après avoir joué avec Freddie King. Le gars du Texas est un colosse tandis que notre mississippien est un minus, le sobriquet de Little s’impose alors naturellement.

Trêve de bavardage, depuis ses débuts discographiques en 1969 avec Harmonica Williams, Little Freddie King a traversé les étapes à vitesse grand V, mais cela n’a pas été une partie de plaisir. En 1976, le guitariste était venu en Europe avec John Lee HOOKER et Bo DIDDLEY, la suite sera plus sinueuse et notre guitariste ne s’est réellement fait connaitre chez nous qu’à l’orée du nouveau millénaire grâce à une subite production de disques, tous d’un haut niveau.

« You Make My Night », son onzième album, est une fidèle retranscription des concerts qu’offre le guitariste dans son fief du Club DBA à la Nouvelle Orléans et ce depuis des lustres. King propose ici des compositions haletantes et hypnotiques, de vraies tranches de vie auxquelles viennent se greffer de grands classiques: « Big Boss Man » de Jimmy Reed délivré sur un tempo nonchalant avec une énorme ligne de basse, « Wang Dang Doodle » chef d’œuvre rythmique de Willie DIXON dans lequel le Petit Freddie vocifère, « Baby Please Don’t Go » qui oscille ici entre lourdeur et torpeur, l’indémodable « Josephine » une variante du hit du tandem Fats DOMINO/ Dave Bartholomew. Le mélange poisseux combinant Country Blues, Swamp et Delta Blues finit invariablement par happer l’auditeur.

Si le guitariste respecte les traditions, il ne s’offusque pas d’offrir à son public quelques délires comme l’envoûtant « Chicken Dance », une danse de poulet. Imaginez-vous un poulet sur le point de passer à la casserole, il faut avant de cuire la bête lui couper la tête (Alouette) et il arrive parfois que l’animal sans tête échappe à l’emprise de son cuistot et se mette à courir dans les sens les plus aléatoires.

Autre atout majeur, Little Freddie King se produit, à l’instar de George THOROGOOD, avec la même équipe depuis de longues années, des musiciens rompus au groove des scènes NOLA, d’où une complicité, une cohésion que le public ressent derechef. Son manager batteur Wacko Wade Wright, l’harmoniciste Bobby Lewis Ditullio et le bassiste William Jordan n’ont de cesse de relancer ce jeune homme de 76 ans. Ici pas de prouesse technique, au contraire quelques pains et de petites fausses notes bien plus sincères que ce que veulent nous offrir les grosses boites de prod. avec leurs pseudo guitaristes virtuoses. Si vous aimez le blues terrien, cradingue, ensorceleur et authentique, intéressez vous chers lecteurs au « Gudbucket King » comme on l’appelle là-bas. Un excellent cocktail associant Slim Harpo, Lightnin’ Slim, Burnside et Hooker, excusez du peu. Un disque qui déclenche une atmosphère chaude, poisseuse et dont on ne ressort pas indemne. Reste à savoir si on le verra un jour dans notre contrée.