En cette période de morosité ambiante, quoi de mieux qu’un petit coup de Zydeco pour améliorer le quotidien et donner un peu de couleurs. Si nous comptons sur nos dirigeants ou les pontes de la Santé Publique, ceux-ci ne sachant véritablement pas sur quel pied danser, pour apporter un peu de joie à notre société, autant attendre le déluge.

Attaquons nous à Donna ANGELLE, l’une des rares représentantes de la gente féminine à s’être illustré dans le Zydeco. En dehors de Rosie LEDET, Queen Ida ou Mary Broussard, Donna demeure l’une des rares à diriger un orchestre en Louisiane.

Native de Cypress Island, un parc naturel situé à une quinzaine de kilomètres à l’est de Lafayette, Donna ANGELLE voit le jour en 1951. Ses parents planteurs de piments l’encouragent très tôt à poursuivre sa passion pour la musique. Quand elle ne ramasse pas ses piments, sa mère évolue comme danseuse de claquettes dans les environs de Breaux Bridge, région réputée pour ses écrevisses et son boudin. Donna intègre la chorale de son école et étudie successivement la flûte, le saxophone et la clarinette avant de bifurquer sur l’orgue et le piano. Une fois son diplôme secondaire en poche, elle entame sa carrière auprès de Bobby Price comme claviériste chanteuse. Admiratrice durant son adolescence d’Aretha FRANKLIN, Gladys KNIGHT et Curtis MAYFIELD, elle va enchainer au sein de Cosmic Sky et Super Soul Exchange, deux petites formations de Soul Funk, registres alors très tendance, avant de monter son propre groupe Chapter Four, combo pour lequel elle se met à la basse. Suite à un tragique accident de voiture, elle disparaît des écrans radars pour raison de santé pendant une dizaine d’années.

Au milieu des nineties, Donna rencontre Mike Lachney, un jeune producteur qui a déjà fait ses preuves auprès de Rosie LEDET, John Delafosse ou Keith Frank. Si Lachney a enregistré plus jeune un single pour le label Anla qui n’a connu aucun succès, c’est dans le domaine de l’écriture, l’arrangement et la production qu’il s’illustre désormais. Patron du label Bad Weather, Lachney réoriente la chanteuse vers le Zydeco, registre qu’elle connait bien puisque native du terroir mais qu’elle n’a jamais pratiqué. En 1995, Donna enregistre "Zydeco Soul" publié seulement sous forme de cassette. Avec le soutien de Mike Lachney, elle va enchaîner chez Maison De Soul, label de Floyd Soileau, avec deux albums qui lui permettent de placer son nom sur la carte Zydeco. Elle décide alors de se mettre à l’accordéon apprenant l’instrument en autodidacte. Probablement mal conseillée, elle met en boite "It’s Alright" pour la firme J&S, qui contrairement à ce qu’annonce son titre, prend une mauvaise tournure avec utilisation de boites à rythmes et d’un vocodeur.

En 2006, elle met en boîte "Workin’ It", CD qui lui permet de participe de se produire à Paris avec le frotteur Michelle Ann Citizen et d’enchaîner au Blues Passion Festival de Cognac, le plus grand évènementiel Blues en France du moment.

Enregistré au Master-Trak Sound Recorders, dans les studios de Crowley par Mark Miller, rejeton de l’ancien patron d’Excello Records J.D. Miller, ce cinquième opus s’ouvre en fanfare avec "Rodeo Show", un two-step enjoué et bien dans la tradition. Sur "Creole Woman", elle déclame sans aucune ambigüité ses origines. Ses progrès à l’accordéon piano sont époustouflants. Il faut dire qu’elle bénéficie avec ses Zydeco Possé d’une équipe cohérente et particulièrement soudée avec entre autre le guitariste Chester Chevalier (ex Fernest ARCENEAUX, Bobby Price, CREOLE ZYDECO FARMERS) le bassiste Junius Antoine (un ancien de T Black & The Zydeco Machine et Zydeco Joe), le batteur Teddy Delcambre, seul musicien blanc de la troupe et le fidèle Michelle Citizen qui collabore à l’écriture et à la production. On retrouve six autres compositions : "House Dog" un Zydeco Soul qui déploie sa mélodie sous forme d’une ballade New Orléans. "Catin" ⸋ chanté en créole, reprend les bases d’une valse lente de style rural. Les influences Soul sont clairement palpables sur "Groove Me", un mid tempo au rythme lancinant. "Workin’It", qui donne son nom à l’album évoque le répertoire de Boozoo CHAVIS, si ce n’est que le timbre prend des intonations Soul proches de Barbara LYNN et Gladys Knight. Même en Louisiane, il est difficile d’échapper à l’effervescence du Père Noël et de ses rennes, raison pour laquelle Donna nous glisse "Zydeco Santa" en fermeture d’album. Au rayon des originaux, elle reprend l’humoristique "Old Man Sweetheart", un clin d’œil à Boozoo Chavis qui lui avait valu d’être nominée lors d’un concours. Là, Donna s’éloigne des hommages genre passage de pommade et prend une orientation désopilante et comique affirmant que le stetson et les bottes de cowboy du légendaire Boozoo font figure de fantasme.

Quatre reprises permettent d’apporter une coloration bigarrée. L’inusité "Rockin’It Steady" avec son intro sous forme de spoken song fait penser à Katie Webster. Popularisé par Wilson PICKETT, "Don’t Let The Green Grass Fool You" a fait l’objet de bonnes reprises (Doris DUKE, Andrew « Jr. Boy » Jones, Huey LEWIS). Donna Angelle nous offre ici une excellente reprise, l’accordéon délivre un rythme festif tandis que le vétéran Chester Chevalier s’offre un excellent passage de gratte. Une version bien supérieure à celle de Rosie LEDET. Elle s’attaque à l’impayable "Paper In My Shoe", l’un des premiers titres Zydeco enregistrés dans les studios du label Goldband en 1954. La légende dit que lors de l’enregistrement, l’accordéoniste Boozoo Chavis, en état d’ébriété tomba de son tabouret. Si la chute du bonhomme passe inaperçue, on entend à un moment donné le bruit d’une bouteille roulant sur le sol du studio. Grand classique du répertoire Zydeco et Cajun, le titre sera repris par tout accordéoniste qui se respecte. Donna nous en délivre une version entraînante chantée en créole et anglais. Si on tend bien l'oreille on entend Donna reprenant en français: "Ils m'ont pas donner à bouffer". Comme dit BECAUD, il faudrait avoir une jambe de bois pour ne pas danser là dessus. Dernière salve avec "I Rather Go Blind" ⃰. Gravée pour la première fois par Etta JAMES en 1967, cette délicate ballade Soul avait fait l’objet d’une reprise Zydeco par le biais de l’accordéoniste aveugle Lynn August. Un accompagnement combinant New Orleans Sound et atmosphère d’église met en pleine lumière l’excellent timbre de la chanteuse. Une bonne petite pépite de Zydeco Soul.

Formée au R&B louisianais et influencée par la Soul sixties, Donna Angelle signe ici un CD tout à fait convaincant. Excellente chanteuse, Donna peut s’appuyer sur son expérience de multi instrumentiste. Les Zydeco Possé proposent une orchestration impeccable, la plupart des membres sont rompus au groove de la scène du crawfish circuit, le guitariste Chester Chevalier mérite sa mention au Tableau d’Honneur. Donna Angelle nous offre un travail d’orfèvre, elle se montre à l’aise sur les titres rythmés et dansants mais également sur les pistes au tempo lent. Un excellent disque de Zydeco respectueux des codes et qui n’hésite jamais à innover avec l’incorporation de morceaux dédiés à la Soul.


⸋ Catin n’a rien de péjoratif, le terme est traduisible par Mademoiselle.
⃰ Il s’agit bien de "I’d Rather Go Blind", Donna a supprimé la forme conditionnelle.