Natif du New Jersey, Slam STEWART a d’abord été violoniste avant de bifurquer à vingt ans vers la contrebasse, instrument certes beaucoup plus imposant et lourd mais qu’on peut laisser reposer par terre. Durant les années 30, Slam connait un énorme succès avec le guitariste pianiste Slim Gaillard sous le nom de Slim & Slam. Le duo est à son apogée durant les 40's et investit les charts avec « The Flat Foot Boogie », titre qui lui permet de s’illustrer sur les plus grandes scènes du Jazz et du Bop alors très en vogue. Le duo demeure aussi créateur de "Tutti Frutti", titre qui inspirera très fortement le hit de Little Richard.
Au sein du duo hautement charismatique, la contrebasse obtient rapidement ses lettres de noblesse. Instrument d’accompagnement, la contrebasse tel qu’en joue Slam Stewart se transforme en instrument mélodique et se retrouve promue au rang de soliste. Mais si le virtuose a réussi à monter l’imposant instrument à corde au rang de cordes solistes, il disposait d’une autre corde à son arc avec le chant. A l’instar du violoniste Ray Perry, Slam se fait remarquer en chantant en vocalises à l’octave supérieur les phrases qu’il interprète à l’archet, d’où son surnom de Contrebassiste Fredonnant.

Durant les années 40, la complicité, la gouaille et le talent du duo leur permettent de figurer au générique de plusieurs films : la comédie "Hellzapoppin" qui ne paraît en France qu’après guerre, "Almost Married" dans lequel les deux musiciens jouent leur propres rôles et enfin "Boy ! What a Girl !" en 1947. Après leur second film, Slim Gaillard étant appelé sous les drapeaux, les deux compères prennent des routes séparées ; à sa démobilisation, Slim fait équipe avec le bassiste Bam Brown pendant que Slam se produit auprès de Fats Waller, Art Tatum, Errol Garner, Lionel Hampton, Charlie Parker ou Coleman Hawkins pour ne citer que les principaux. Parallèlement à sa carrière, Slam Stewart enseignera de longues années dans plusieurs universités (New York et Yale, célèbre université du Connecticut).

C’est sous la bannière du label français Black & Blue qu’on retrouve le virtuose de la contrebasse. Si le label rééditait à l’origine d’anciens disques de Jazz, Black & Blue franchit le cap en enregistrant de nombreux jazzmen et blues-men lors de leurs tournées françaises ou européennes. Très souvent, ces musiciens enregistrent leurs meilleurs albums sous la houlette d’une équipe française compétente sans diktats ni surproduction, une production où la complicité, la générosité, le partage prennent le pas sur les desideratas financiers.

Enregistré le 26 avril 1971 au Château d’Hérouville par Dominique Blanc-Francard sous la houlette de Jean Marie Monestier, ce disque pourrait porter à lui seul la griffe du label. En pleine forme, Slam revenait d’une tournée avec Big Joe Turner. Le contrebassiste est épaulé par le batteur Joe Jones, véritable légende du Jazz et instigateur du four beat, et le pianiste Milt Buckner, créateur du block chord, cadence rythmique destinée à chauffer le public, et ancien arrangeur de Lionel Hampton. Si pour une fois, Buckner se contente de pianoter sur ses ivoires, délaissant orgue et vibraphone, la cohésion entre les baguettes et le piano est évidente : les deux musiciens en effet se sont produits ensemble à d’innombrables occasions. Slam Stewart ne nous offre ici que deux compositions : "Slam Bam", un shuffle flirtant entre Jam et Be-bop, et l’impayable "The Flat Foot Floogee", plus gros carton du duo Slim & Slam, dans lequel Buckner nous délivre une mélodie aussi rapide qu’enthousiaste, alors que le contrebassiste vient poser ses vocalises tout en chantonnant comme à la grande époque du Swing.

Le trio nous assène quelques standards triés sur le volet et se réapproprie parfois certains titres avec un apport de vitamines et de jeunesse. Au gré des pistes, on reste surpris par l’explosivité et la dextérité du piano, alors que "Papa" Jo Jones nous envoie de vraies baffes métronomiques. "C Jam Blues" rivalise haut-la- main avec les versions de Ray Bryant, Oscar Peterson ou Dave Brubeck, pourtant toutes excellentes. Le trio parvient à délivrer une petite touche de jeunesse sur l’archi-rabâché "On The Sunny Side Of The Street", grand classique du tandem Dorothy Fields/Jimmy McHugh. Les vocalises de Stewart font encore leurs effets. Ce dernier se montre excellent aussi bien dans le maniement de l’archet qu’en basse slappée sur l’intemporel "Sweet Georgia Brown". Les vocalises et les baguettes semblent souffler comme la brise sur "I Know That You Know", vieux standard lié à Broadway, popularisé par Benny Goodman, Hampton et Gene Krupa. Même impression avec "Ain’t Misbehavin", le classique de Fats Waller dans lequel le trio semble presque trop sage.

Au rayon des reprises moins connues, Slam et ses acolytes délivrent encore de bonnes surprises : "Just You, Just Me" prend de la hauteur et semble plus aérien que les essais chantés de Ray CHARLES ou Carmen McRae. Créé par le chef d’orchestre Bennie Moten, "Moten Swing" prend encore une sévère couche de fraîcheur, même si certains resteront attachés à l’interprétation de Kenny Burrell. Nous achèverons ce panorama avec "Lady Be Good", création du couple Gershwin entrecoupée ici par le refrain d’une chanson bien de chez nous, qui mérite une mention pour sa fantaisie et sa fraîcheur, une version à l’opposé de celle de l’acteur Peter Sellers. Avec ce disque, Slam Stewart venait grossir le catalogue du label Black & Blue, une petite maison de disques qui regorge de pépites.