Suite au somptueux sixième épisode de la saga Final Fantasy, le phénomène « RPG » (pour Role Playing Game – soit Jeu de Rôle en français) sur consoles de jeux vidéo prit une ampleur sans précédent en dehors de l’archipel nippon. Le premier jeu qui suivit et fit au moins autant de bruit outre-atlantique fut Chrono Trigger. Une grosse partie de l’équipe de développement avait été débauchée pour l’occasion de chez la maison concurrente, responsable de la série Dragon Quest. Ce n’est pourtant pas Koichi SUGIYAMA qui fut invité sur Chrono Trigger, mais une recrue encore récente qui avait travaillé avec lui comme assistant sur un autre jeu, en la personne de Yasunori MITSUDA.

Contrairement à ses confrères, le jeune MITSUDA est porté sur d’autres styles de musiques que le classique ou la musique électronique. Si le genre celtique est une passion qu’il partage avec Nobuo UEMATSU, c’est une influence que l’on retrouvera de manière plus marquée dans ses œuvres et notamment sur ce Chrono Trigger, bien que le compositeur restait alors très timide en terme de personnalité. C’est avant tout à l’écoute de cet album de musiques arrangées que l’on s’étonnera de ses capacités à varier les registres.

Le jeu étant basé sur un principe de voyages dans le temps, le joueur parcourait ainsi un monde européanisé sur six époques différentes, allant de la préhistoire à un futur que l’on qualifiera de post-apocalyptique tout en passant par un moyen-age fantastique de facture plus traditionnelle pour ce genre vidéo ludique. Musicalement, la démarche est similaire, du folklore traditionnel (celtique, japonais mais également des îles du pacifique) à l’électro (principalement indus et ambiant) ainsi qu'au rock en passant par le classique (quelques irruptions modernes d’orchestres à la manière d’Hollywood, un piano récurrent, mais aussi un orgue ténébreux mis à contribution sur "Warlock battle"), tous ces artifices étant soutenus la plupart du temps par une basse funk, des cuivres jazzy ou une contrebasse impériale. C’est en fait le groupe de Jazz GUIDO qui interpréta et arrangea pour l’occasion le voyage « intertemporel » du compositeur, les mélodies originales restant bien identifiables.

Le mélange aura de quoi étonner, ou faire peur. Le plus étonnant en réalité est qu’il fonctionne. Le plus pernicieux étant sans doute ce thème de fête foraine glissant sur des arpèges macabres ("Guardia millenial fair"). Peut-être pire encore, cette guitare bluesy que l’on retrouve partout, jusque dans cet « Undersea palace », à la croisée du polar d’intrigue hollywoodien, des trompettes agonisantes du "Atom heart mother suite" de PINK FLOYD et de quelques percussions tropicales dont je ne connais pas les dénominations. Je suis pour ma part troublé.

C’est avant tout l’aspect très mélodique, la prise de risque de tous les instants de même que la cohérence et consistance du melting-pot (que tout le monde donnerait perdant – avouez que vous êtes intrigués) qui fait de ce disque une perle rare. Cependant, le trip jazzy à outrance ne vaudra peut-être pas la chaleur incandescente transmise par les ténors du genre, le tout se révélant un peu froid. Une légère tiédeur dans l’interprétation, notamment l’utilisation d’instruments électroniques, me fera émettre une certaine réserve dans mon appréciation. The brink of time est cependant d’une originalité à la fois déconcertante et savoureuse, une pièce incontournable des arranges de musiques vidéo-ludiques.