Un anniversaire de mariage, un baptême, une bar-mitzvah à fêter et vous n’avez ni le budget pour engager un orchestre pour l’animation musicale, ni la possibilité de facturer la prestation à votre boîte façon Carlos Ghosn ? Pas de panique, il y a une solution toute trouvée : engagez Charlie HUNTER, ce type-là est un homme orchestre, ou presque. Le bonhomme a longtemps joué sur guitare sur mesure huit cordes (trois cordes graves et cinq aiguës avec des accordages différents) avec laquelle il assure en même temps parties rythmiques, solos et lignes de basse, exploitant plus à fond les possibilités d’un jeu percussif hérité de Joe PASS et de Tuck ANDRESS (de TUCK and PATTI). Depuis quelques années, HUNTER a réduit la voilure et joue à présent sur une sept cordes aux sonorités plus bluesy, là où son ancien instrument sonnait parfois comme un orgue Hammond (c’était de son aveu l’effet recherché).

De par sa technique singulière, HUNTER est reconnaissable entre mille et c’est bien sûr tout à son honneur. L’inconvénient est qu’il est paradoxalement parfois prisonnier de la niche stylistique qu’il s’est construite et il n’est de ce fait peut-être jamais aussi intéressant que lorsqu'il est forcé de quitter son pré carré en collaborant avec d’autres artistes. Le voici qui partage aujourd'hui l’affiche avec une vocaliste et pas celle initialement prévue puisque HUNTER devait accompagner la guitariste/chanteuse mexicaine Sylvana Estrada pour une tournée de la côte Ouest US début 2018. Pas de bol, les autorités américaines refusent de délivrer un visa à cette dernière et c’est Lucy WOODWARD qui la remplace au pied levé. Mais celle-ci n’étant ni guitariste ni hispanophone, il faut intégralement changer le répertoire prévu en quelques jours. Un retour aux sources du parcours des deux artistes s’impose en puisant dans les standards du blues. Sont convoqués entre autres Bessie SMITH et Blind Willie JOHNSON.

Les deux protagonistes ont donc eu le temps de se découvrir et de s’apprivoiser sur scène (d’autres tournées ont suivi) une année durant avant de concrétiser leur rencontre en studio et ça s’entend. Le duo, seulement accompagné d’un percussionniste en live, a en outre décidé de s’adjoindre les services d’un batteur pour l’album en la personne du tout-terrain Derrek Phillips et c’est la combinaison gagnante. Les arrangements sont dépouillés, l’interprétation sobre et la production restitue l’ensemble avec une belle profondeur. Le répertoire est blues, soul, funky et brasse historiquement large entre Bessie SMITH, Nina SIMONE (trois fois dont "Be My Husband" que WOODWARD avait déjà enregistré avec SNARKY PUPPY), Lucinda WILLIAMS et Terrence TRENT D’ARBY (quelle bonne idée de reprendre "Wishing Well", peut-être la cover la plus jouissive de l’album). Longtemps choriste de luxe pour méga-stars (Rod STEWART, Céline DION…) et après quelques incartades pas toujours heureuses (la pop racoleuse de son single "Dumb Girl") Lucy WOODWARD est ici parfaite dans un répertoire roots qui met en valeur son timbre de voix doux et sensuel.

Music!Music!Music! témoigne d’une belle rencontre et tire haut-la-main son épingle du jeu dans le marché pourtant toujours plus saturé de l’album de reprises.