Fondé au milieu des années 90, MERCY enregistre cet hommage au bluesman Slim Harpo en 1999. L’album recueille les éloges de la presse spécialisée. Rien d’étonnant, il fallait avoir du cran à cette époque pour reprendre le répertoire de l’un des géants du Swamp Blues. Malheureusement, les temps sont durs pour les petites maisons de disques et le distributeur Culture Presse Records met la clef sous la porte.
Dans le domaine du Blues, si le diable semble régner en maître, il arrive parfois qu’un ange puisse terrasser le mauvais sort. En 2001, Christophe Eon et Dom Lienard, patrons de Janvier Records, décident de rééditer l’album avec une nouvelle pochette et un son complètement remixé avec la contribution du guitariste et leader Jean Paul Avellaneda. Il faut dire que le trio a la réputation de mettre le feu aux planches sur les scènes où il se produit. Une décision lumineuse puisque Mercy va alors connaître une année faste, l’album sera le coup de cœur de la chaine FNAC, une première pour un petit groupe de Blues français débarqué de nulle part ou presque, mais peut-être le nom du groupe, traduisible par Miséricorde, était-il un clin-d’œil au destin.
Formé par Jean Paul Avellaneda ex Luther Allison, Francis Campello, bassiste de session pour Billy Cobham et Chris de Burg, et du batteur Franck Marco, un ancien de la maison Stock et élève du jazzman Louis Winsberg, Mercy remettait au goût du jour le répertoire d’HARPO dans une veine hautement énergique, pleine de vitalité. Totalement novateurs, la sonorité et le tempo chiadé et implacable proposés par le groupe permettaient d’entrevoir tout le génie de l’ancienne vedette des disques Excello sans que les titres soient pour autant dénaturés. On peut dire que MERCY sera parvenu à se réapproprier certains standards du Swamp.

La complicité et la connivence du trio demeurent frappantes dès la première écoute, ce qui n’est pas étonnant puisque le guitariste et le bassiste ont officié ensemble au sein de Quai Des Brumes, un groupe rock des années 80. D’entrée de jeu, « Tip On In » place l’ambiance : du Rock au cœur de la moiteur des bayous, le genre de morceau idéal pour lancer le bolide. Si ce grand classique a été étrangement peu repris, c’est l’absence d’harmonica qui frappe le plus à l’instar de la cover des Destroyers de George Thorogood.
Avouons que cette interprétation a plus de groove et de feeling que celle proposée par Alex CHILTON. Seconde bonne pioche avec « I Got Love If You Want It » qui tient plus de CREEDENCE CLEARWATER que du rockab de Warren Smith gravé pour Sun Records ou des versions british des KINKS et YARDBIRDS. On peut dire sans crainte que cette version ridiculise carrément celles postérieures de Steve MILLER ou de Billy Gibbons. « Baby Scratch My Back », titre dans lequel Slim HARPO invitait Madame à rentrer dans son bain pour lui gratter le dos, a connu une kyrielle de reprises. Ce hit repris en Soul par Otis REDDING, en instrumental par Booker & The M.G.’s, en Porch Swamp par Tony Joe WHITE, en British Blues par les YARDBIRDS et en Blues par Magic Sam, Lazy Lester ou TAJ MAHAL, connaît là une version mid tempo dans laquelle la Stratocaster endosse le premier rôle tout en délicatesse. Quatrième coup de canon avec le gros tube, « Shake Your Hips ». Si on se souvient généralement du morceau via les STONES dans « Exile On Main Street » ou de celui de Love Sculpture, le groupe de Dave Edmunds, de nombreuses formations se sont cassé les dents sur ce swamp dansant : The Thundercrack, Pussy Gallore, Bo Ramsey ou plus récemment Son Of Dave (là c’est carrément honteux). Là, MERCY s’en tire encore une fois incroyablement bien. Toujours pas d’harmonica mais une section rythmique, véritable gardienne du temple et de la danse, et une guitare flamboyante en front line pour un tempo ensorceleur qui prend le contrôle de votre cerveau. A vrai dire, s’il fallait trouver une pièce faible, cela pourrait être « I’m A King Bee », un comble vu mon nom de plume. Gros standard de Slim HARPO, encore repris par les STONES, par les DOORS pour une version psyché brinquebalante et par une foule de bluesmen (Muddy Waters, Percy Strother, Luther « Guitar Jr. » Johnson et Lou Rawls en Soul, cette chanson a fait l’objet d’une variante « Queen Bee » à laquelle la gente féminine s’est attaquée (Koko Taylor, Lucille Spann ou Sue Foley) avec réussite et humour. Alors, MERCY nous en propose ici une version personnalisée qui serait presque trop respectueuse.

Mais là où MERCY étonne le plus, c’est sur les reprises d’inusités auxquels personne ne s’attendait : « I Need Money » marqué par une basse ronflante et métronome, « You Buzz Me Baby » où la Stratocaster s’offre de belles envolées, le slow blues « What A Dream » qui finit par vous faire tomber en pleine torpeur ou bien encore « Dream Girl » titre dans lequel le dobro entraîne l’auditeur tout au fond des marécages.
Terminons cet éventail par l’unique morceau échappant à Slim HARPO avec « My Home Is A Prison », œuvre de Lonesome Sundown. Là le trio délivre un intense slow blues de près de 11 minutes, la guitare ne cesse de relancer la machine, le dramatisme accentué par de gros breaks de gratte finit par happer l’auditeur. Malgré sa durée, ce titre passe comme une lettre à la poste et invite les plus imaginatifs à une rencontre avec les alligators et crapauds buffles des marécages.

Avec cet album, le trio proposait une nouvelle et brillante approche du Swamp, genre devenu orphelin au fil des années, avec un son durci respectant néanmoins les schémas. Un grand disque pour un petit groupe venu du Verdon et un guitariste en front line hors-norme.