L’écoute d’un disque peut parfois être trompeuse. Lorsqu’on glisse ce disque sur la platine pour la première fois, on se dit : Oh … … encore un groupe de Gospel Soul du milieu seventies ! Sauf que les quatre chanteurs qui constituent le groupe sont âgés entre 19 et 22 ans et que le disque vient de sortir.
Alors, si les quatre chanteurs sont originaires des quatre coins de New York, c’est bel et bien à Harlem qu’ils ont trouvé leur voix et peut être aussi leurs voies, allez savoir ! C’est par le biais d’un programme d’éducation, Gospel For Teens, que les membres du groupe se sont rencontrés après avoir chanté dans les rues ou le métro. En 2018, Colemine Records, label fondé par Terry Cole destiné à publier des artistes Soul inconnus, avait publié deux titres « He’s On Time » et « Wash Me Lord ».
Certains disques existent grâce à de curieux concours de circonstance, à moins que le Seigneur veille de là- haut sur certaines de ses brebis, allez savoir ! Le guitariste Eli « Paperboy » Reed donnait des cours pour le programme Gospel For Teens, endroit où il a rencontré Thomas Gatling, Stephen Pedley, George Marage et Asher Bethune. « Paperboy » leur a proposé de venir en studio pour mettre leurs textes en chanson. Le guitariste a fait appel à deux copains : un de ses anciens accompagnateurs, le bassiste contrebassiste Jake Leckie (ex Sixto « Sugarman » Rodriguez) et le batteur chanteur Aaron Frazer, ex-Charlie Patton’s War et actuellement membre de Durand Jones & The Indications.
Si le répertoire conjugue à merveille Soul et Gospel proche du Revival, la symbiose entre les musiciens et les chanteurs semble se faire le plus naturellement possible. Mais attention, si Eli « Paperboy » s’est distingué dans le Blues, les quatre jeunes chanteurs mettent quant à eux leurs voix au service de Dieu. Les paroles de ces dix titres ne convergent que vers une seule et unique personne : le Seigneur ! On connait l’importance des congrégations baptistes et méthodistes dans le quotidien de la population afro-américaine contemporaine, même si ces mouvements ont perdu de leur influence auprès de la jeunesse actuelle. Aussi retrouver une telle sonorité en 2019, à l’heure où des fadas se sont mis dans la tête de jouer aux agents de voyage avec des destinations attractives comme la lune, a de quoi surprendre.
N’étant guère fan du bonhomme qui finira les bras en croix ou sur la croix (je ne sais plus trop), les paroles ne touchent guère l’horrible mécréant que je suis. Dans son infinie bonté, le Seigneur et les chanteurs de ce disque me pardonneront certainement.
Mais en dehors des textes dignes de combler les plus grosses grenouilles de bénitier, ce disque dispose de plusieurs atouts non négligeables. Des chanteurs capables de prendre le poste de leader et d’autre part des harmonies vocales d’excellente facture et enfin d’un accompagnement mitonné aux petits oignons avec trois virtuoses qui n’en rajoutent pas et qui n’ont ce cesse de mettre le chanteur sur la bonne voie (celle du Seigneur Pardi !).
« Oh Yes He Will » nous expédie au beau milieu des seventies. La mélodie de par le chorus reste terriblement accrocheuse et Thomas Gatling relance le chœur, à moins que cela soit le contraire, on ne sait plus tant le morceau diffuse une pêche pas possible. « Am I Doing Enough » nous renverrait presque sur une face B des Jackson Five. La guitare d’Eli « Paperboy » Reed apporte une coloration vintage sur « Motherless Child ». Si le tempo est désespérément lent, les vocalises de Gatling permettent à l’auditeur de s’enflammer. « If You Can’t Make It Through A Storm » est encore plus lent. On croirait entendre un titre Soul de la fin seventies, un vrai morceau de sucre enrobé de barbe à papa. C’est encore plus lent et collant que le Little Bit More de Dr. Hook, mais curieusement ce cocktail boogaloo ne reste pas entre les dents. Par contre, il faut frotter très fort pour se l’enlever des oreilles.
La face b débute par une vraie tornade « On The Right Road ». Le chant de Stephen Pedley est repris par les chœurs et se retrouve ainsi renforcé, un vrai psaume de Soul ou de la Soul Psalmodiée. Une chose est sûre, si l’église du coin passait un peu plus de trucs de ce genre, le cureton risquerait de m’y voir plus souvent. « Wash Me Lord » évoque le thème de l’eau et de la rédemption sur un tempo plus sage rappelant certains titres des Staples Singers. « Do You Know Him » évoque la grande question, connaissez-vous le Seigneur ? Toujours est-il que l’intro de guitare fuzz pourrait évoquer BLACK MERDA. « Brighter Day » pourrait s’emboîter dans un disque des Jackson 5, si ce n’est qu’encore une fois le texte est orienté sur un seul thème, Dieu. Le disque se termine sur un pur moment de félicité avec « Shine On Me », avec une basse métronomique, une guitare vintage qui touche à chaque note et une batterie qui ferait marcher le Seigneur à la baguette. Si vous êtes un pur païen que les paroles célestes auraient tendance à gonfler, vous vous laisserez prendre par le tempo, les chœurs et un lead vocal capable de vous amener vers la transe.
Terminons par « He’s On Time », le titre qui donne son blaze à l’album et apparu en single. Cette fois c’est George Marage qui nous emmène vers les cieux. Un vrai titre de Soul Gospel bourré d’énergie, Sister Act n’arriverait même pas à suivre. Il y a ici un cachet à la Nicole Willis indéniable. Pour un peu, je me demande si je ne vais pas aller voir le cureton de ma paroisse lui soutirer quelques godets de vin de messe et une poignée d’hosties, histoire de se taper une bonne gigue.
A certains moments, on croirait se retrouver dans une église de New Jersey, à écouter les enfants des Brooklyn Allstars, des Salem Travelers ou des Gospel Keynotes … mais ne dit-on pas que nous sommes tous les enfants de Dieu ?
Le caractère profondément Soul nous incite à ranger ce disque dans le rayon Soul, alors que le Gospel était rangé dans la catégorie Blues. Mais rassurez-vous, le Seigneur se fout des étiquettes. Ultime précision, ce recueil existe en version CD et en vinyle. On regrette juste le manque d’indications concernant le chanteur principal, celui-ci changeant à chaque titre. Un disque plein de fraicheur.

Note entre 3 et 4, tout dépend de la dose de vin de messe que vous vous êtes mis dans le gosier.