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1988 Between Tides
 

- Style : Harold Budd & Brian Eno, Robin Guthrie & Harold Budd, Yann Tiersen , Max Richter, Philip Glass , Erik Satie , Michael Nyman
- Style + Membre : Brian Eno , Roger Eno & Brian Eno

Roger ENO - Between Tides (1988)
Par AIGLE BLANC le 20 Décembre 2019          Consultée 1196 fois

Des exemples de collaborations fraternelles, l'histoire de l'art n'en manque pas, à commencer en littérature par les frères Goncourt, qui écrivaient au dix-neuvième siècle des romans à quatre mains dans le genre naturaliste, mais aujourd'hui ô combien tombés dans les limbes de l'oubli au profit du très médiatique prix littéraire éponyme qu'ils avaient pourtant créé de leur vivant. Le domaine musical nous a offert le duo des soeurs pianistes Maria et Katia Labèque qui ont réussi une brillante carrière en interprétant à quatre mains les oeuvres du répertoire classique (MOZART, SCHUBERT, LISZT, BRAHMS) avec une prédilection pour les artistes contemporains (GERSHWIN, PROKOFIEV, STRAVINSKI, BARTOK). La Folk a vu éclore le groupe irlandais traditionnel CLANNAD composé des membres de la famille Brennan parmi lesquels les enfants Maire, Ciaran, Pol et Eithne (future ENYA). La sphère Pop-Rock a donné le duo du frère Richard et de sa soeur Karen (The CARPENTERS), les frères Young (Angus et Malcolm) d'AC/DC, les BEE GEES composé des frères Barry, Robin et Maurice Gibb.

Cependant, ces quelques exemples non exhaustifs ne sauraient masquer une autre réalité : il peut être difficile de percer dans les hautes strates du succès quand on est frère ou soeur d'un musicien célèbre. Les JACKSON 5 Jackie, Tito, Marlon et Randy l'ont appris à leurs dépens lorsque leur cadet Michael les a quittés pour connaître à lui seul l'une des "success stories" les plus symptomatiques de l'histoire de la Pop. Dave Davis, guitariste novateur des KINKS, n'a jamais réussi une carrière solo comparable à celle de son frère Ray, ombre écrasante ne masquant pas une rivalité inégale en terme de reconnaissance. David KNOPFLER a connu la même éclipse au profit de son frère Mark, leader intraitable de DIRE STRAITS au point de décider tout seul la fin de carrière de son groupe au moment où il vivait le zénith de son succès planétaire. Sa carrière solo ne décolla jamais vraiment.
La fratrie des OLDFIELD, malgré une prédisposition exceptionnelle au génie musical, a mis en avant Mike au détriment de la soeur Sally et du frère Terry, plongés dans un relatif anonymat.

Si Roger ENO est forcément connu des fans de son frère Brian, conceptualisateur de l'ambient music, combien d'entre eux possèdent dans leur discothèque un de ses albums solo? On ne peut pas vraiment parler d'échec quand on évoque sa carrière riche tout de même d'une trentaine de disques, mais force est de constater que quand Brian a été le claviériste d'un groupe aussi emblématique que ROXY MUSIC et le producteur d'un album aussi récompensé que The Joshua Tree de U2, Roger quant à lui a collaboré avec Daniel Lanois, Michael Brook et Laarraji, artistes talentueux mais à la réputation autrement plus confidentielle.

Né en 1959, Roger ENO est de onze ans le cadet de Brian. Il débute sa carrière musicale en collaborant à l'album de son frère, Apollo, Atmospheres & soundtracks sorti en 1983, aux côtés de Daniel Lanois, où il co-compose les titres "Drift", "Deep Blue Day", "Weightless" et "Always Returning". Cet album d'ambient préfigure les travaux ultérieurs de Roger ENO qui se lance dans une carrière solo dès l'album suivant, Voices, paru en 1985. Bien que le label EG Records soit le même que celui qui édite les albums de Brian ENO, que le graphiste designer responsable des photos de la pochette, Russel Mills, ait aussi beaucoup oeuvré à celles de son frère et que l'on y retrouve à la production l'acolyte Daniel LANOIS déjà présent dans l'album Apollo... , Voices ne doit son existence qu'à Roger ENO qui manoeuvre seul aux manettes de cet opus inaugural. De mauvaises langues pourraient remarquer les similitudes importantes dans la musique des deux frères, au point qu'elles puissent apparemment se confondre, mais l'approche artistique de Roger naît, si l'on s'y penche un peu, d'une formation musicale plus classique. D'ailleurs, Brian ENO a l'habitude de se définir comme non musicien. Son jeune frère quant à lui ne craint pas de recourir à des instruments acoustiques dans la pure tradition de la musique minimaliste (Philip GLASS, Michael NYMAN, Wim MERTENS), même si ses claviers toujours présents marquent sa signature.

Between Tides est le deuxième opus solo de Roger ENO. Ce n'est pas un album dont la beauté s'impose d'emblée. Il compte au contraire parmi les disques qui infusent lentement leurs trésors dans le cortex émotionnel, du genre de ceux, fort rares, dont on se plaît à préserver l'anonymat, fier d'en être le dépositaire et de figurer dans le cercle restreint des privilégiés ayant eu la chance de se laisser pénétrer par son charme. L'expression populaire 'secret le mieux gardé de la musique' semble idéale pour le définir. L'amateur d'ambient s'y lovera comme dans les draps chauds de l'aube hivernale. Mais il n'est pas interdit aux autres de s'y sentir en terrain accueillant. En effet, l'ambient de Roger ENO ne suit pas obligatoirement les figures imposées du genre : il ne refuse pas la dimension mélodique dont les treize titres portent l'empreinte prégnante. Cet aspect de sa musique, conjugué au soin apporté aux textures sonores, emmène le disque du côté du minimalisme. On pense à Philipp GLASS ou, mieux encore, à Max RICHTER ou Yann TIERSEN, en raison de l'omniprésence de ses claviers recueillis à l'intensité émotionnelle inversement proportionnelle à la simplicité des compositions. Simples, peut-être, mais jamais simplistes, les notes du piano trouvent la juste distance entre l'émotion et la retenue, un peu à la manière d'Eric SATIE auquel on songe aussi, bien évidemment.

La première moitié de l'album concentre les titres les plus minimalistes, exécutés par un quatuor de cordes des plus sensibles : Alison Harling et Emlyn Singleton au violon, Peiro Gasparini à l'alto, Ron Wilson au violoncelle. Les musiciens se lovent dans les atmosphères subtilement mélancoliques du compositeur avec une fébrilité qui ne se nomme jamais, ce qui décuple l'impact émotionnel de "Dust at Dawn (The Last Cowboy in the West)" effleuré d'une discrète nostalgie, de "Field of Gold" où les cordes accompagnent la séquence minimaliste du piano avec une rare délicatesse. Quant à "Prelude For St.Joan", il s'agit d'une pièce intimiste de laquelle se dégage une foi tout en intériorité où les cordes et le piano ne cessent de déposer leurs espoirs sur un berceau de larmes élégiaques. La clarinette de Philip Alexander qui conduit le quatuor dans "Ringinglow" confère à cette composition encore une fois fort subtile toute sa dimension humaine.

La seconde moitié de l'oeuvre plonge encore plus profondément dans le minimalisme au point de flirter souvent avec l'ambient grâce au remarquable travail des textures du piano et des claviers en général. Le dépouillement des arrangements trouve son pic émotionnel avec "The Silent Hours" dont les accords épars du clavier, dans un subtil balancement, expriment si bien l'agonie d'un coeur sur le bord de s'éteindre. Le champ lexical des titres suggère une entrée en douceur dans la saison hivernale : "Autumn", "Winter Music", "The Frost", "While the City Sleeps" d'où cette sensation de plonger au coeur d'une musique de plus en plus introspective. "Autumn" pousse même l'austérité jusqu'à son point limite en saupoudrant quelques notes séquencées de piano si évocatrices de l'humeur en clair-obscur de cette saison où les feuilles se chargent de teintes ocre dans une agonie aussi mélancolique que lumineuse. Le quatuor à cordes s'y voit relégué au deuxième plan, disparaissant quelquefois au profit des seuls arpèges des claviers.

C'est un très bel album que nous offre Roger ENO, discret, pudique, introspectif mais aussi lumineux. Il distille une petite musique d'une ferveur profonde qui laissera des traces chez l'auditeur le plus sensible.

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   AIGLE BLANC

 
  N/A



- Roger Eno (piano, claviers)
- Alison Harling (violon)
- Emlyn Singleton (violon)
- Piero Gasparini (alto)
- Ron Wilson (violoncelle)
- Philip Alexander (clarinette)
- Amanda Hollins (flûte)
- Sebastian Guard (percussions)


1. Dust At Dawn (the Last Cowboy In The West)
2. Field Of Gold
3. Prelude For St.joan
4. Ringinglow
5. The Frost
6. One Gull
7. The Silent Hours
8. Between Tides
9. Winter Music
10. While The City Sleeps
11. Sunburst
12. Autumn
13. Almost Dark



             



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