Connaissez-vous Ricky SKAGGS ? Si oui, vous avez de la chance. Si non, vous en avez aussi parce que, après avoir lu cette chronique, vous aurez envie de le découvrir.
Sans lui, pas de new country, cette country qui, au début des années 90, allait devenir un véritable phénomène outre-Atlantique avec des artistes tels que Garth BROOKS (en 1992, Garth était l’équivalent de Michaël JACKSON en terme de ventes d’albums avec des shows gigantesques), pas de Brad PAISLEY ou autre Alan JACKSON. Et tout provient de cet album, le 11ème de Ricky SKAGGS, sans compter toutes ses participations à des albums d’artistes emblématiques tels qu’Emmylou HARRIS, Tim RICE, Keith WHITLEY ou Albert LEE.

Pour comprendre le phénomène, il faut remonter à son origine. A 10 ans, le jeune Ricky avait déjà joué avec trois des plus importants représentants du Bluegrass : à 6 ans, avec les STANLEY Brothers et Bill MONROE (considéré par tous comme le précurseur et un dieu de ce style et avec lequel il gardera des liens très forts jusqu’à sa mort en 1996), à 7 ans en compagnie des duettistes Earl SCRUGGS (le roi du banjo) et Lester FLATT (un merveilleux mandoliniste). A 17 ans, Ricky SKAGGS devient professionnel en 1971 en intégrant le groupe de Ralph STANLEY puis joue avec le groupe Boone Creek au sein duquel sévissent un certain Jerry DOUGLAS, fantastique joueur de dobro ainsi que Vince GILL qui se distingue par sa technique guitaristique.
Ces rencontres sont fondamentales pour lui : en effet, dès 1975, alors qu’il n’a que 21 ans, il participe à l’éclosion de l’immense star qu’est Emmylou HARRIS en intervenant dans ses albums au style naissant de la country-rock en compagnie d’Albert LEE, James BURTON, Bernie LEADON, Linda RONDSTADT, Herb PEDERSEN, Rodney CROWELL, Hank DEVITO, Emory GORDY, jouant autant de la flute, de la mandoline, de la guitare que du violon.
C’est au début des années 80 qu’il se lance enfin dans une carrière en solo par l’album "Waitin' For The Sun To Shine" en 1981, abandonnant provisoirement le Bluegrass pour la country rock et utilisant les musiciens rencontrés à l’occasion des séances avec Emmylou.
D’emblée, "Waitin' For The Sun To Shine" atteint tout de suite les sommets des charts country et Ricky SKAGGS ne les quittera quasiment plus durant les années 1980.

Ce "Live in London" est la première restitution sonore en public de Ricky SKAGGS. Enregistré au Dominion Theater de Londres, il est important à plus d’un titre. Tout d’abord, il s’agit d’un vrai/faux best of de l’artiste. Vrai parce que les titres sont, à une exception près, de véritables tueries dans leurs albums d’origine. Faux parce que certains titres n’apparaissent pas dans ces albums studio et font leurs premières apparitions ici. Ainsi « I've Got A New Heartache », «  She Didn't Say Why », « Cajun Moon », « You Make Me Feel Like A Man » et « Rockin' The Boat », soit la moitié des titres proposés par la version vinyle. Grosse prise de risque me direz-vous ? Eh bien non, au contraire. Parce que ces titres font encore aujourd’hui partie des meilleurs enregistrés par Ricky SKAGGS dans toute sa carrière, avec l’avantage de la prise de son en direct qui montre le professionnalisme et la technique sans esbroufe mais aussi sans faille du maître et de son groupe.

Ensuite, ce live est tout simplement une véritable merveille. Je mets juste un bémol sur la version CD avec ses 4 titres supplémentaires dont un vraiment dispensable (« Rendez-vous, un country mid-tempo tiré du dernier album en date, "Country Boy" sorti en 1984, et dont la mélodie est oubliable. Le seul temps faible du disque). Pour le reste, que du tout bon.
On navigue entre la country mid-tempo avec « I've Got A New Heartache », « Cajun Moon », « Honey (Open That Door) » (issu de l’album Don't Cheat in Our Hometown), et la country des plus furieuses avec « Uncle Pen » (du même album), « Heartbroke » (issu de Highways & Heartaches), « Rockin' The Boat », « Country Boy » de l’album éponyme, co-écrit par Albert LEE, « Highway 40 Blues » (issu de Highways & Heartaches), et « Don't Get Above Your Raising » (issu de Waitin' for the Sun to Shine).
Pour ce dernier titre, Ricky SKAGGS a fait appel à Elvis COSTELLO, rocker en vogue de l’époque et futur mari de Diana KRALL. Ce titre présente une particularité : sur ce rock, qui pourrait être qualifié de « claptonien », la production est des plus brutes et, contrairement à certains albums retravaillés en studio, restitue jusque dans ses défauts le concert tel qu’il s’est déroulé. Ecoutez Elvis chanter à côté du micro, se remettre dans l’axe. C’est assez amusant et déconcertant. Mais surtout rassurant. Pour quelle raison ? Parce qu’on est très loin de ces disques du type "Live And Dangerous" de THIN LIZZY par exemple, et qu’on peut aisément supposer que tout l’album a été traité de la sorte, ce qui signifie une très haute technicité instrumentale des musiciens dans l’ensemble des morceaux joués sur ce disque. Pour vous en convaincre, écoutez « Country Boy » et vous ne serez plus jamais le même. Vous ne pouvez rester de marbre, chaque musicien prenant ses soli, répondant à son voisin, jouant (dans le sens premier du terme) pour le grand bonheur du public présent. On est à la frontière de la country et du jazz pour ce qui concerne le partage avec le public (pour info, une video VHS était parue la même année et certains titres sont visibles sur Youtube, la réédition n’étant pas prévue à l’heure où ces lignes sont écrites. Ça vaut le coup si on veut voir à quoi ressemble la mandocaster de Ricky SKAGGS, par exemple).

Alors, certes, il n’y a pas que des titres rapides. Certains sont là pour calmer la furie avant qu’elle ne reprenne. « She Didn't Say Why » et son groove très jazzy, la valse lente « You Make Me Feel Like A Man » ou « Waitin' For The Sun To Shine » chanté seul avec guitare acoustique ne dépareillent pas malgré le calme revenu. Les mélodies, belles, pénètrent dans votre tête insidieusement. De l’émotion à l’état brut. Et puis, une petite merveille a capella : le spiritual « Talk About Suffering » tiré de l’album "Family & Friends", qui nous rappelle que la country provient des chants religieux croisés avec des musiques traditionnelles française, irlandaise et polonaise auxquelles on a ajouté des instruments typiquement afro-américains (le banjo est une variation, par exemple, de la calebasse africaine) pour créer un style qui peut être festif comme on sait si bien l’être du côté des Bretons ou des Auvergnats.

Et ce disque, joyeux en diable, vous saisira comme il a saisi les auditeurs de 1985 au point qu’il a atteint sans difficulté la place de numéro 1 dans le classement country du Billboard de 1986, et ce durant 50 semaines.
Disque incontournable, il fait partie des meilleurs live, tous styles confondus, et les cinq étoiles sont largement insuffisantes pour exprimer la joie éprouvée à le mettre encore et encore sur la platine. Enjoy !