Bobby HUTCHERSON n'a pas eu de chances avec ses enregistrements : nous avons déjà abordé la question de son premier album enregistré en 1963 mais resté dans les archives jusqu'en 1999. Voici maintenant Spiral, enregistré en 1968 mais sorti seulement onze ans plus tard, en 1979, à l'exception du morceau « Jasper », enregistré lui en 1965.
Pourquoi un tel délai ? Le vibraphoniste (répétez ce mot vingt fois d'affilé le plus rapidement possible) n'a jamais été une grande star du jazz, mais la deuxième moitié des années 60 est pourtant sa période la plus faste grâce à un deal avec Blue Note qui lui permet d'accéder aux studios et de former un noyau dur de musiciens, notamment Chick COREA au piano. Peut-être cette mise au placard peut s'expliquer par son arrestation en 1967 pour possession de cannabis, ce qui lui vaut une révocation immédiate de son permis de conduire et de sa carte de musicien, indispensable pour jouer dans les clubs new-yorkais ?

Cessons de conjecturer, ce qui est certain c'est que le timing de sortie de l'album ne pouvait pas être plus mauvais. Hutcherson ne suivait pas l'air du temps et la dernière chose que veulent les auditeurs de jazz à la fin des années 70, c'est du bop. Spiral ne met pas longtemps à disparaître des mémoires pour ne réapparaître qu'en 1998, lors de l'édition CD de son album suivant : Medina.
Entouré pour l'occasion de Stanley COWELL au piano, Harold LAND au saxophone, de Reggie JOHNSON à la basse et de Joe CHAMBERS à la batterie, des musiciens impliqués ayant chacun apporté une composition inédite pour l'occasion. Et pour le coup, je ne peux pas donner tort aux auditeurs de 1979 : Spiral est un album beaucoup trop classique. Pour rappel, 1968 dans le jazz c'est l'année où la fusion commence à bouillir sur Miles in the Sky et Filles de Kilimandjaro, celle où l'héritage de COLTRANE parti un an auparavant se fait sentir. Dans ce contexte de changement, il est alors difficile d'accorder de l'attention à ce petit disque qui fait tout bien mais sans originalité aucune. Si certaines pistes contiennent des passages rappelant le talent des musiciens -le crescendo à la moitié de « The Wedding March », l'introduction de « Poor People's March »-, cela ne suffit pas à empêcher une indifférence polie de s'installer tôt pendant l'écoute.
Je ne saurais rester méchant envers Bobby Hutcherson trop longtemps. Après tout le vibraphone n'est pas un instrument facile à maîtriser, sûrement pas un que j'ai l'habitude d'entendre, mais il en est indéniablement maître et en tire le meilleur. Il n'empêche que malgré son talent, Spiral ne laisse pas une trace indélébile dans l'histoire du jazz, et encore moins dans celle de sa propre carrière.