Première indication : sur la pochette, Peter ROWAN c’est le plus vieux, celui qui est debout si cela vous renseigne mieux. En dehors du fait qu’il soit juché sur un tabouret, Tony RICE est par conséquent le plus jeune. Ces deux guitaristes n’en sont pas à leur première collaboration, en 2004, ils figuraient sur You Were There For Me en compagnie de la contrebassiste Bryn DAVIES toujours présente dans ce second opus. Ces deux légendes du Bluesgrass et de l’Americana ne sont jamais passées chez Drucker, Naguy et consorts et il serait bien étonnant qu’ils y passent un jour, tant le Bluegrass et ses dérivés semblent issus d’un autre monde.

ROWAN et RICE disposent de curriculums assez copieux. Le premier, originaire des environs de Boston, s’est intéressé au Blues et au Folk avant de s’orienter sur le Rockabilly en intégrant The CUPIDS au milieu des fifties. Après un cursus à l’Université, il change radicalement d’orientation et décide de devenir musicien. Il se convertit au Bluegrass au sein des COUNTRY GENTLEMEN, enchaîne avec les Blue Grass Boys de Bill MONROE pendant deux ans. On le retrouve ensuite au sein d’EARTH OPERA en compagnie de David GRISMAN, puis avec deux de ses frères Lorin et Chris et Jerry GARCIA sur un album. Durant les seventies, il se produit dans le monde entier (sauf chez nous), enregistre trois disques au sein des ROWAN BROTHERS. Au début des eighties, il signe The Walls Of Time en compagnie de Ricky SKAGGS, Sam BUSH et Jerry DOUGLAS. En 1983, il apparaît au Back Up Festival à Toulouse et participe à une tournée européenne avec TRANSATLANTIC. En 87, il vient prêter sa voix sur un album des anglais d’ART OF NOISE. Converti au bouddhisme, il participe à plusieurs d’albums concept au sein de plusieurs formations à géométrie variable : TWANG AN GROOVE, PETER ROWAN BLUEGRASS BAND, BIG TWANG THEORY et CRUCIAL REGGAE, projet ancré sur le Blues et le Reggae. On le retrouve également sur une quarantaine de disque comme invités en compagnie d’artistes variés : Mary GAUTHIER, Kate MacLEOD, Drew EMMITT, Flaco JIMENEZ ou Ramblin’ Jack ELLIOT. Bref une pointure !

Tony RICE vient de Virginie. Elevé sous le soleil de Californie, il se met très tôt à la guitare par le biais de son père et de Clarence WHITE, leader des KENTUCKY COLONELS. Au début des sixties, il joue au sein de BLUEGRASS ALLIANCE, enchaîne avec JD CROWE au sein de NEW SOUTH, avant de tourner pendant quatre ans avec David GRISMAN se consacrant alors à la Dawg Music (mélange de Jazz, Folk acoustique et classique). Fondateur du BLUEGRASS ALBUM BAND, Tony joue également avec trois de ses frangins (Larry, Wyatt et Ron) et enchaîne avec le TONY RICE UNIT. Au cours des eigthies, il collabore à plusieurs albums du banjoïste Béla FLECK,. Durant la décennie suivante avec son frère Larry il se produit au sein de RICE, RICE, HILLMAN, PEDERSEN. Tony figure sur plus d’une cinquantaine de disque comme invité auprès de Dolly PARTON, Emmylou HARRIS, Alison KRAUSS, Kate WOLF, Mary CHARPIN CARPENTER, Doc WATSON, Mike AULDRIDGE ou le ZAC BROWN BAND, pour ne citer que les principaux.

Ces deux monstres sacrés sont entourés par deux demoiselles qui n’en sont pas à leur coup d’essai. La contrebassiste Bryn DAVIES a fait ses gammes en Californie. Sortie major de promotion du Berklee College Of Music de Boston, elle a joué avec TWO HIGHT STRING, un trio dans lequel figuraient le guitariste Brian SMITH et le mandoliniste Billy BRIGHT qui va bientôt convoler en juste noce avec Bryn jusqu'à ce que les deux oiseaux prennent des routes séparées en 2005. Bryn n’est pas en terre inconnue, il a déjà collaboré à trois disques de Peter ROWAN et un autre des ROWAN BROTHERS, l’entente artistique et la complicité ont donc fait leur preuve. Sharon GILCHRIST, native du Texas, est une mandoliniste prodige. De 9 à 16 ans elle a joué au sein de BLUE NIGHT EXPRESS, une petite formation qui a longtemps ouvert pour Bill MONROE, Ralph STANLEY ou Del McCOURY, des ténors du Bluegrass. Après avoir œuvré auprès de Josh ROUSE puis au sein d’UNCLE EARL, Sharon rejoignait ses trois condisciples en 2005.

Quartet ne comporte pas vraiment de titre. Pour plus de facilité et de visibilité le disque a souvent été identifié comme tel par certains sites discographiques. A travers onze plages, Peter ROWAN demeure le principal pourvoyeur avec cinq morceaux qu’il a déterré parfois dans ses anciens disques. "Dust Bowl Children" figurait par exemple dans l’album du même nom remontant à 1990. Toujours est-il qu’on est surpris par la symbiose entre les deux guitares acoustiques, la mandoline tandis que la contrebasse apporte une coloration identique à celle des trios ou quatuors de Jazz qui sévissaient au début des sixties. Les quatre musiciens délivrent ici une version qui nous semble supérieure à l’original, mais il est vrai que Rowan a pu peaufiner sa chanson en 17 ans. Alison KRAUSS & UNION STATION reprendra cette douceur sur un rythme plus prononcé qui lui sied moins. Seconde pépite avec "The Walls Of Time", titre coécrit avec Bill MONROE et figurant dans « Father & Son », disque dans lequel James Monroe donnait la réplique à son paternel. Là encore le guitariste reprendra à plusieurs reprises ce délicat morceau. Emmylou HARRIS, SALAMANDER CROSSING ou Ricky SKAGGS en délivreront de belles versions, alors que d’autres l’enlaidiront avec des violons et des lap steel intempestifs et autres cadences accélérées. A croire que certains repreneurs craignaient de rater leur train ou leur avion. C’est encore une fois une fusion que nous assène le groupe, on se demande si avec l’âge le chant de ROWAN n’est pas meilleur qu’avant.

Autre titre issu du passé, "Moonlight Midnight" remonte à la période OLD IN THE WAY, avec Jerry GARCIA et Vassar CLEMENTS. Les accords de guitare semblent s’entrelacer et le chant prend de l’épaisseur via les chœurs propulsés par Sharon et Bryn. Cette version nous semble encore une fois bien supérieure à toutes les autres. Tish HINOJOSA en délivrera une version simple qui vaut le détour à contrario de Darrell SCOTT qui tenta d’en faire un hymne Country FM sans personnalité. "Let The Harvest Go To Seed" que reprenait ROWAN à l’époque du NASHVILLE BLUEGRASS BAND, prend une imperceptible coloration appalachienne via le chant alors que la mandoline se taille la part du lion. Titre le plus court, "Perfection" vient clore en beauté le disque sous la forme d’un Country Gospel teinté de Jazz, les harmonies vocales de Sharon et Bryn se superposent remarquablement sur le chant et s’avèrent proches de la Close Harmony.

Parmi les reprises, le combo rend hommage à Townes VAN ZANDT avec "To Live Is To Fly" titre poétique qui apporte une forte touche mélancolique. Une excellente version même si certains resteront attachés à l’original ou celle de Guy CLARK. Des traditionnels figurent aussi au répertoire : "Shady Grove", a fait les beaux jours d’artistes aussi variés que le KINGSTON TRIO, Doc WATSON, Taj MAHAL ou Suzi BOGGUSS. Au milieu des sixties, les TROUBADOURS l’adaptèrent sous le titre "Lindy Lou". Là, le morceau totalement instrumental a du mal à prendre son envol, l'intro de guitare semble s’éterniser et l’intérêt provient du long solo de contrebasse, malgré la qualité des instrumentistes. Issu des Appalaches "Cold Rain And Snow" a connu son lot de reprises dans des registres aussi variés que la Country, la Soul, la Pop et le Rock alternatif ; le titre figure au répertoire de GRATEFUL DEAD, de PENTANGLE, plus récemment INDRA nous en a délivré une version pompeuse et chiante au possible. Là encore, la dualité des guitares et de la mandoline, la qualité des arrangements et l’apport parfois imperceptible des chœurs font la différence.

Composition d’Harry C. McAuliffe, "The Sunny Side Of The Mountain" est postérieur d’une dizaine d’années à son presque homonyme issu du Jazz "On The Sunny Side Of The Street". Si Hank SNOW l’interprète en 1944 sous le nom d’Hank The Ranger, il sera repris durant les années 50 par le duo Wilma LEE/ Stoney COOPER. Le NITTY GRITTY DIRT BAND le reprendra avec succès à l’orée des seventies avant que le titre ne tombe dans l’escarcelle du registre Bluegrass. La formation délivre ici une version sensible dans laquelle les guitares proposent un équilibre constant. Terminons par un coup de cœur avec "Trepasses", un intemporel pioché dans l’album Trampin’ de la grande Patti SMITH. Ici tout est en symbiose, du chant aux guitares en passant par les harmonies vocales jusqu'à cette contrebasse qui influe groove et tempo. Un disque allie quelques zestes de Folk aux subtilités du Bluegrass sans flonflon ni violon aux artifices du Newgrass.