Benjamine d’une famille de quatre enfants, Susan Kay BOGGUS voit le jour en décembre 1956 à Aledo, une bourgade de l’Illinois située à trois cent bornes à l’Ouest des ghettos de Chicago. A cinq ans, elle fait ses gammes dans la chorale de la paroisse presbytérienne que fréquentent ses parents. Elle étudie le piano et la batterie avant de se mettre à la guitare, instrument plus fun et moins lourd qu’un piano. Roy ROGERS, un voisin de ses grands-parents l’encourage à persévérer. A 19 ans, elle se lance dans l’étude de la métallurgie d’art et sort diplômée en 1980. Elle se lance sur les routes bien décidée à s’imposer comme créatrice de bijoux. A bord de sa camionnette, elle vend les bijoux de sa fabrication le jour et se produit le soir dans le circuit des bars. En 81, elle grave un premier album autoproduit qui passe totalement inaperçu. Suite à une audition, elle se produit au Dollywood, le parc d’attraction que vient d’acquérir Dolly PARTON et enchaîne avec des premières parties pour Dan SEALS et ASLEEP At The WHEEL.

Susan qui se fait maintenant appeler Suzy se décide à franchir le pas et enregistre une démo qui atterrie sur le bureau de Jim Foglesong, patron de Capitol, qui décide de lui faire signer un contrat. Une apparition à l’émission télé "Nashville Now" de la chaîne cablée TNN lui permet de consolider sa réputation. Qu’elle porte des bottes de cowboy ou des sabots compensés, ses mini-jupes lui permettent de plaire à un public de mâles mais aussi aux nombreuses amatrices de Country qui voient en elle une artiste indépendante. Excellente chanteuse aussi à l’aise dans la tradition que dans la New Country, capable de chanter des yodels Suzy BOGGUS sort des sentiers battus. Alors que la concurrence est rude, Music City ne cessant de promouvoir de nouvelles chanteuses toujours plus jeunes et plus belles, Suzy BOGGUS va parvenir à fidéliser un solide auditoire. En 1995, suite à la naissance de son premier enfant, Suzy va considérament ralentir ses productions afin de se consacrer à sa famille. En 1998, Capitol met fin à son contrat, les ventes de ses disques n’atteignant pas les chiffres escomptés. La chanteuse enregistre alors un album chez Platinium, avant de fonder en 2001 son propre label, Loyal Dutchess Records, un moyen qui lui permet de garder la main sur la direction artistique de ses productions. Aujourd'hui, outre ses bijoux d’art et une ligne de vêtements, elle est à la tête d’une discographie comptant une grosse vingtaine de singles et 23 albums.

Lauréate d’un Grammy Award, Suzy remarque lors d’une tournée de 2008 que le public se plait à entonner des airs traditionnels. La chanteuse remarque que la plupart de ces chants, souvent de vieux folks, ne figurent plus depuis longtemps dans les programmes de musique de l’éducation nationale américaine, souvent par manque de moyen. Au printemps 2011, Suzy enregistre à The Office, un studio basé à Franklin (Tennessee), 17 titres choisis parmi une cinquantaine. Elle décide d’inclure le CD dans un copieux livre de 96 pages où elle explique le pourquoi et le comment de ces différents airs issus des traditions.

"Shady Grove" a l’honneur d’ouvrir les hostilités. Folk issu des Cumberlands dans les Appalaches, ce standard aux influences écossaises est enregistré pour la première fois par le groupe les PRAIRIE RAMBLERS de Tex ATCHINSON. Chanson d’amour par excellence, le titre a subi pas mal de modifications selon ses repreneurs, parmi lesquels Bill MONROE, Clarence WHITE, Pernell ROBERTS (l’un des fils Bonanza) ou CROOKED STILL. Les anglais de FAIRPORT CONVENTION transformeront les paroles avec « Matty Groves » et les TROUBADOURS de Franca Di Rienzo en feront un excellent "Lindy Lou". "Shenandoah" prend sa source parmi les anciens trappeurs qui convoyaient leurs peaux en descendant le Missouri. On retrouve ce classique au générique du film "How The West Was Won". Ce classique sera repris plus de 350 fois, Elvis PRESLEY se servira de la mélodie sur "Tender Feeling" alors qu’Eddy ARNOLD en fera "Across The Wide Missouri", le duo HOMER & JETHRO délivrera lui la parodie "I Love Pizza", bien plus savoureuse que les deux pompages précités. L’eau est une bonne source, Suzy en bonne conteuse d’histoire nous raconte les péripéties de la mule Sal à travers une descente le long du canal Erié reliant l’Atlantique aux grands lacs.

Elle remet le Western et la cowboy song au goût du jour : "Red River Valley" standard inspiré de "Bright Sherman Valley" existait déjà sous forme de partition à l’arrivée du cylindre. Enregistré sous ce titre dès 1927 par le duo Hugh CROSS et Riley PUCKETT, cette histoire d’amour contrarié connaîtra moult versions : Jo STAFFORD, les ANDREW SISTERS, SONS Of The PIONEERS ou Slim WHITMAN, un morceau toujours très tendance puisque Carolyn MARTIN le reprenait à son compte il y a peu. Autre titre d’inspiration cowboy, la ballade "Git Along, Little Dogies" donne le meilleur rôle à un petit veau ayant perdu sa génitrice herbivore. Popularisé par Burl IVES pendant la Seconde Guerre "Wayfaring Stranger" provient probablement des Melungeon, tribus métisses de Virginie et du Kentucky. Le titre repris parfois avec une coloration religieuse est maintenant repris par de nombreux groupe de Bluegrass. "Wildwood Flower", immortalisé par la CARTER FAMILY, apporte une teinte mélancolique. Si Emmylou HARRIS avait déposé le titre dans le Top Ten Country en 1980, il a depuis été repris par une flopée de musiciens venus d’horizons divers (Natalie MERCHANT, Neil YOUNG, Ed SHEERAN). Et récemment par Rhiannon GIDDENS (ex Carolina Chocolate Drops). Si le colt, le cheval, le cowboy et les grands espaces font figure d’incontournables, le cheval de fer demeure un acteur important dans l’histoire des Etats Unis. L’harmonica lance la chanson sur de bons rails, rien de plus normal pour une chanson sur les trains. Lonnie DONEGAN épaulé par Chris BARBER en délivra une bonne version, depuis Johnny CASH, Carl PERKINS jusqu'à la MANO NEGRA l’ont mis à leur répertoire. Le vaste territoire américain a fait l’objet de nombreuses chansons à travers l’envahissement sans vergogne des terres du Grand Ouest. "Sweet Betsy From Pike" nous conte les amours d’un couple lors d’une expédition de pionniers. L’Iguane (Iggy POP) reprenait la chanson dans "The Lone Ranger : Wanted", une compilation inspirée du film produit par Walt Disney Pictures. Si "Careless Love", une histoire d’amour qui se termine mal, a fait les beaux jours de Bessie SMITH, le titre tombera par vague dans les registres Jazz, Country et variété Internationale. Suzy nous en délivre une interprétation toute simple pas très éloignée de celle de l’acteur chanteur Andy GRIFFITH dans laquelle l’harmonica prend du galon.


Les influences anglo-irish-scotish sont souvent présentes comme en atteste "Johnny Has Gone For A Soldier" titre dont la mélodie s’inspire d’un vieux folk irlandais du XVIIème. L’australienne Shirley ABICAIR semble être la première à l’avoir adapté sous ce titre. Le Trio PETER, PAUL &MARY s’en serviront en incorporant plus couplet à "Gone The Rainbow". Vieille chanson écossaise du XVIe, "Froggy Went A-Courtin'" est rentré dans le domaine de la Country dès les années vingt ; parfois transformée en comptines pour enfants, elle a connu son heure de gloire en étant adaptée dans un épisode de Tom et Jerry de Tex Avery. Ici l’intro de guimbarde apporte un cachet tandis que le chant peut séduire les auditeurs de 4 à 99 ans.

Si le Banjo de Richard Bailey lui apporte une touche typique au Kentucky, "Old Dan Tucker", un vieux folk du XIXème popularisé par les Virginia Minstrels de Dan EMMETT tombera dans l’escarcelle des blackfaces (chanteurs comiques blancs grimés en chanteurs noirs) avant de rejoindre le folklore de Virginie et du Kentucky. Le banjoïste Granpa JONES, grand comique rural de l’Opry, Burl IVES ou Pete SEEGER participeront à sa renommée. Autre incontournable issu de la musique noire et du Gospel, "Swing Low, Sweet Chariot" est tombé dans la besace de registres inimaginables. Si Johnny CASH, Bill MONROE ou COUNTRY GAZETTE en firent de bons hits Country, le titre n’échappe ni à la Soul ni au Gospel avec les interprétations d’Etta JAMES, des STAPLE SINGERS et surtout des MIGHTY CLOUDS Of JOY. Eric CLAPTON en fera même un hymne Reggae Blues au milieu des seventies. Si le titre sert depuis quelques années de thème à certaines équipes nationales de Rugby et si Hollywood l’a intégré dans de nombreux génériques, la voix de Suzy BOGGUS procure ici un fort apaisement. Plus intimiste, "All The Pretty Little Horses" une berceuse inspirée d’un chant pour enfants afro-américains laisse place à un vocal plein de douceur et de bonté. Le titre adapté par Pierre Delanoé sera chanté par Marie LAFORET sous le titre de "Coule Doux". Le disque se clôt sur "Beautiful Dreamer", une guimauve hyper sucrée écrite par Stephen Foster en 1864 juste quelques jours avant qu’il ne rejoigne le Seigneur. Repris entre autre pas Bing CROSBY et Roy ORBISON, le titre parvient à se démarquer du larmoyant carcan sirupeux dans lequel on le plonge généralement grâce à une sonorité cumulant acoustique et roots music, mais avouons qu’on aurait apprécié un titre plus gai et plus vitaminé en guise de conclusion.

Un dernier mot sur les musiciens secondant la chanteuse, une troupe triée sur le volet, preuve que jouer avec Suzy BOGGUSS constitue encore une belle ligne sur un C.V. Trois monuments de sessions sont présents : Jerry DOUGLAS (membre de UNION STATION, ex CLAPTON, Ray CHARLES, Garth BROOK), l’ancien mari d’Alison KRAUSS Pat BERGESON (ex Emmylou HARRIS, Lyly LOVETT) et Stuart DUNCAN (ex John PRINE, Trisha YEARWOOD ou Rhonda VINCENT). Ce livre disque pouvant figurer dans le tiroir Folk est néanmoins classé dans la catégorie Country, registre correspondant mieux à la discographie de Suzy BOGGUSS. Un disque qui aurait pu prétendre à une note supérieure s’il n’était pas constitué que de reprises.