En préambule, on conseillera aux lecteurs la chronique de Love For Levon élaborée par notre confrère Bayou et classée dans la discographie du BAND. Ancien batteur et chanteur des HAWKS, Levon HELM♠ a bien failli ne jamais enregistrer cet album. La mauvaise nouvelle tombait en 1998, Levon était atteint d’un cancer de la gorge et le bonhomme n’avait selon la presse people américaine plus qu’à léguer ses baguettes. Mais comme on peut le constater actuellement avec le Covid-19, les américains et la médecine ce n’est pas tout à fait ça et certains scribouillards de la presse US ont du revoir leurs copies, Levon s’en est sorti, affaibli certes, mais plus enthousiasme que jamais.

HELM dispose d’un sacré curriculum vitae, jugez plutôt : il a joué au sein des HAWKS de Ronnie HAWKINS, a brièvement épaulé John HAMMOND avant que Bob DYLAN, plutôt futé sur ce coup, ne les pique à Ronnie. Les HAWKS vont se transformer en The BAND, enregistrer à foison tout en accompagnant le barde. En 1976, la formation fera ses adieux en grandes pompes, Martin Scorsese en réalise le documentaire The Last Waltz. Au milieu des eighties, quatre d’entre eux reforment le groupe sans Robbie ROBERTSON, envolé vers une carrière solo. Si le groupe sert souvent d’happening au DEAD ou à CROSBY, STILLS & NASH, il se produit aussi sur le circuit bis, celui des tournées miteuses. En 1986, Richard MANUEL victime de son addiction à l’alcool et l’héroïne se suicide dans une chambre d’hôtel. Le groupe va repartir tant bien que mal, les membres d’origines étant alors remplacés par des doublures. The BAND apparaîtra à l’occasion des trente ans de carrière de DYLAN.

Voici brièvement résumé le parcours de ce formidable multi-instrumentiste. Ajoutons juste que Levon HELM a accompagné en session : John MARTYN, Todd RUNDGREEN, Jesse WINCHESTER, Ringo STARR, Neil YOUNG, Paul BUTTERFIELD, Eric CLAPTON, Carlene CARTER, Michelle SHOCKED et Emmylou HARRIS, pour ne citer que les principaux. A l’arrivée du nouveau millénaire et suite à de lourdes séances de radiothérapie, Levon a lâché le micro pour se convertir en batteur ou mandoliniste. C’est ainsi qu’on le retrouvera auprès de Rufus WAINWRIGHT, Norah JONES, du groupe de Gospel The DIXIE HUMMINGBIRD et des bluesmen Ronnie EARL, Paul OSCHER, du regretté Sean COSTELLO ou des HOLMES BROTHERS.

En 2007, Levon enregistrait sous son nom Dirt Farmer publié par son propre label et relayé par Vanguard pour la distribution. La couverture nous montrait un homme accroupi devant un champ de maïs. Si la pochette d’Electric Dirt nous dévoile une peinture presque naïve d’une exploitation agricole, elle fait suite à l’album précédent. Le musicien revient à travers ce disque aux valeurs de l’agriculture telle qu’elle devrait être pratiquée. Sous un beau soleil, on voit se profiler sur gauche des maïs innombrables, ceux là même qu’il faut arroser jusqu'à plus soif, tandis que sur le perron de sa cabane en bois, un bonhomme gratte quelques notes de musiques qui s’envolent dans le ciel, remplaçant une nuée de corbeaux croassant.

Enregistré dans son propre studio à Woodstock, ce nouvel opus bénéficie d’une production soignée avec Larry Campbell, vieux complice, présent à la guitare sur tous les titres. En ouverture, "Tennessee Jed", un vieux titre du DEAD, pose de solides fondations sur lesquelles vient s’arrimer un mélange de White Blues et d’Americana. Si la voix a pris un peu de voile, l’enthousiasme est toujours là, renforcé par une excellente section cuivre, qui pour le coup nous expédierait du Tennessee à la Nouvelle Orleans. On vous parlait à l’instant d’univers redneck, "Golden Bird", une compo du folkeux Happy TRAUM, instaure un climat de forte mélancolie par le biais d’un violon, un titre à consonance appalachienne qui pourrait figurer de plein pied dans la bande son du film "O Brother, Where Art Thou ?" des frères Coen. Cet univers campagnard se retranscrit encore une fois avec "White Dove", œuvre des STANLEY BROTHERS qui échappe au caractère Bluegrass pour s’orienter vers un chant de montagnard. Les harmonies vocales de Teresa WILLIAMS (Mme Campbell à la ville) et d’Amy HELM (la fille de Levon) de haute tenue sont en symbiose totale avec l’accordéon de Brian Mitchell et le fiddle de Campbell. Si le chant de Levon semble parfois en souffrance, son timbre apporte paradoxalement une puissance confortée par Amy et Teresa proche de la Close Harmony comme en témoigne "Heaven’s Pearls", une douce ballade d’OLLABELLE, groupe Folk dans lequel joue Amy HELM. Helm délivre l’une de ses dernières compositions coécrite avec Campbell avec "Growin’Trade", un folk qui pourrait s’inscrire dans un disque du BAND. Si les chœurs adoucissent la voix chevrotante de Levon, on apprécie au passage le délicat saupoudrage de fiddle et de mandoline. La formation MARLEY’s GHOST de Dan WHEETMAN reprendra le titre en hommage au batteur. Levon reprend le "Kingfish" de Randy NEWMAN dans une interprétation sonore aux accents Hokum.

Le disque écrème également un splendide patchwork de musiques noires. "Move Along Train", gros Gospel de STAPLES SINGERS, nous fait dresser l’épine dorsale via des chœurs crépusculaires. Levon délivre une superbe reprise de "Stuff You Gotta Watch"*, à notre sens le clou de l’album. Si The Band reprenait le titre de Muddy WATERS dans "Jericho", Levon et sa troupe se réapproprie complètement la chanson, décalée de deux octaves, le Mississippi Blues se retrouve transformé en un Stomp Swamp obsédant, l’accordéon de Brian MITCHELL, membre actuel de The WEIGHT BAND, diffuse une agréable touche louisianaise. Second emprunt à Muddy WATERS, "You Can't Lose What You Ain't Ever Had"⸋ est délivré ici sous forme d’un Folk Blues plus proche de Yank RACHELL que du Chicago Blues cher à WATERS. "When I Go Away", une création de Larry CAMPBELL est un mid tempo voguant entre Blues urbain et Soul Gospel avec un passage vocal proche des borborygmes typiques au Hip Hop. C’est sur une note de gaieté et d’espoir que s’achève le disque avec "I Wish I Knew How It Would Feel To Be Free" un titre de Bill TAYLOR. Souvent mis à la sauce Piano Jazz, Gospel ou Soul, le titre largement épicé de cuivres nous renvoie vers le New Orleans Sound, Allen TOUSSAINT (déjà présent sur "Kingfish") se chargeant des arrangements sur ce titre. Un titre nettement plus vivant que les nombreuses versions instrumentales du morceau. On conseillera aux amateurs curieux l’écoute du titre par Irma THOMAS, Elizabeth KONTOMANOU ou du Derek TRUCKS BAND.

Edité en vinyle ou sous la forme d’un élégant digipack en trois volets Electric Dirt offre un répertoire aussi stellaire que classieux. Produit sans chichis, constitué d’un répertoire cohérent et solide, bénéficiant d’un accompagnement hors pair, Levon HELM propose ici un disque rafraîchissant et éclectique. Les onze titres naviguent entre Blues, Folk et Soul Gospel nous proposant ainsi un beau voyage plein d’escales avec pour destination finale l’Americana. Difficilement classable, ce recueil sera rangé dans la case Folk, le tiroir Folk Blues n’existant pas encore chez FP.


⃰ Titre homonyme à celui de George Jackson chanté par Arthur CONLEY.
⸋Levon se montre taquin, le vrai titre est You Can't Lose What You Ain't Never Had.
♠ Levon a perdu son combat contre le cancer en avril 2012.