Le collectif français LOSEHER (Lose-Her à l'oral), dont la provenance se situe dans le triangle des villes Lyon-Chambéry-Bonneville mais aussi Thiers et même Brest, verse dans un joli mélange de trip-hop et de rock alternatif. L'album Walk as Blind, premier effort du trio constitué de Cléo (chant, guitares, synthétiseurs), Julien (basse, guitares, synthétiseurs) et Jonathan (production, habillement psychédélique) est un exemple rêvé de début de carrière en support audio.

"Orage", premier titre en français et avec un rap aussi prononcé, est trompeur car s'il y a rugosité ailleurs, ce n'est pas tout à fait dans le même style. Déjà pourtant, il y a quelques mots en anglais, et on sent la qualité des mélodies et des arrangements du trio : murmures, arpèges de guitare soignés, basse chaude, batterie (non moins excellente) de Lou Houel, membre du groupe de thrash/death metal savoyard BACKDAWN. Univers musical éloigné mais choix des plus judicieux !

Un dernier titre en français, "Soupir", grâce à des paroles bien senties ("ce corps dont les autres pensent pouvoir disposer", "les hysté ouvrent les portes aux violences"), nous rappelle des problèmatiques toujours vivaces et notamment en France. Titre splendide, d'une poésie moins rap pour le coup, où la guitare joue des accords enrichis hérités du jazz, où une marche lente et un bourdonnement final nous révèlent les penchants alternatifs de LOVEHER.

Et surtout, il y a la voix de Cléo. Beaucoup de chanteuses trip-hop usent de falsetto, d'angélisme sensuel mais ici, c'est un timbre souvent grave, même un peu rauque, qui fait merveille. Si "Resilience" mérite d'être le tube de l'été 2020, formule légère mais sincère de ce titre groovy et empreint d'un son californien, c'est en grande partie grâce à Cléo ! Un régal que ce morceau pour son solo de guitare et cette nappe connotée années 80 pendant le pont.

Autre hit en puissance, "Smiling Eyes", plus lent et jazzy, où le chant comme la batterie nous transportent avec le caractère rassurant et aventureux nécessaires pour les temps angoissants, les phénomènes hors contrôle. LOVEHER, tout en pratiquant une musique aux accents psyché/underground, peut ainsi se faire apprécier au sens large, par ses mélodies et ses ambiances, en flirtant avec le hip-hop auquel il apporte toute l'authenticité que la mode renie sans cesse.

D'autres exemples très "chic" (pas le groupe, mais la classe quand même) : le pluvieux et printanier "Walk as Blind (Safe Places)", l'acoustique "Compass", sans fard, juste en guitare-voix. Tous les titres restants sont à écouter pour des raisons diverses. Les grooves funk et imparables de "Take Care", "Dictaphone" et "Small Details", les échappées vocales dans les aiguës plus régulières d'une Cléo bien aidée par une section de choeurs féminins ; les changements de sons de la guitare de Julien, parfois new-wave, parfois western ; la production de Jonathan incluant l'emploi d'échos, de phaser, d'éléments cosmiques.

C'est avec un plaisir fort que l'on savoure le slow "Blossomed", le gros son qui forme un enchaînement parfait pour "Dictaphone" et "Small Details", la classe inhérente à de nombreux autres titres plus évidents mais pas moins denses ("Compass", "Walk as Blind", "Smiling Eyes", "Resilience")... Il ne manque vraiment pas grand-chose pour atteindre le chef d'oeuvre, toujours est-il qu'en tant que premier disque, c'est brillant !

Pour écouter : https://soundcloud.com/lose-her/sets/walk-as-blind/s-3HNK7NWq6oM