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1970 I'M A Loser

Doris DUKE - I'm A Loser (1970)
Par LE KINGBEE le 8 Juillet 2020          Consultée 1269 fois

A l’écoute d’un tel disque, on peut se demander si l’industrie phonographique américaine n’était pas tombée sur la tête dès le début des années 70. Signe d’une incroyable malchance ou d’une injustice caractérisée, on se demande pourquoi et comment Doris DUKE, décédée dans le plus complet anonymat en mars 2019, n’a pas enregistré plus souvent. Ce chef-d’œuvre de Soul Sudiste met en exergue le talent de producteur de Jerry WILLIAMS plus connu sous le nom de Swamp DOGG, personnage influent, tour à tour auteur, disc-jockey, producteur, journaliste, chanteur, conteur, chroniqueur du quotidien américain et patron de disques.

Il est possible que le nom de Doris DUKE interpelle certains lecteurs. Riche héritière d’un gros Trust de l’industrie du tabac, philanthrope de renom à la tête de plusieurs fondations, Doris DUKE fut à un moment donné en concurrence avec les reines d’Angleterre et des Pays-Bas pour le titre de femme la plus riche du monde. Annoncé tel quel, voici de quoi clouer le bec à plus d’un quidam. Alors cette Doris Duke, ultra-riche et ultra-blanche décédée en 93, n’a strictement rien à voir avec le personnage central de cette chronique, hormis son homonymie.

Doris DUKE, de son vrai nom Doris Curry, voit le jour en 1941 à Sandersville, ville géorgienne connue pour son kaolin et pour avoir abrité Elijah Muhammad, dirigeant de la Nation Of Islam (NOI). A l’instar d’innombrables gamines noires, Doris faisant ses gammes sur les bancs d’une église baptiste, le chant devient très vite une passion. Elle tourne brièvement dans le giron de la troupe de Robert Anderson, The Caravans, enregistrant au passage quelques titres pour le label HOB en compagnie de Loleatta Holloway. Elle enchaîne au sein des Raspberry Singers puis devient choriste pour Albertina Walker, ancienne vedette des Caravans.
Doris convole ensuite en justes noces avec Gus Willingham, ancien baryton des Cadillacs, groupe de Doo Wop de Harlem. Elle parvient à faire bouillir la marmite en étant choriste pour l’Apollo Theater et participe à quelques sessions pour Frank SINATRA. En 1966, elle enregistre sous le nom de Doris Willingham un premier single, pour le label new-yorkais Hi-Monty, qui ne rencontre aucun succès. Doris se transforme en choriste de session avant de graver un second 45-tours pour Jay Boy, filiale de President Records, sans guère plus de succès que le précédent. Précisons que Doris enregistrait là le premier disque du label d’Edward Kassner. Doris et Gus Willingham tentent leur chance à Philadelphie. La chanteuse participe avec Gina Rothchild à A Very Rare Evening de Nina SIMONE, un disque Live enregistré en Europe en avril 69 auquel il faut ajouter les voix de deux choristes en overdub. Le disque n'est publié que dix ans plus tard par PM Records grâce aux efforts de Gene Perla, bassiste lors de ce concert.

C’est quelques semaines plus tard que Doris accède à la postérité avec en préambule un premier album gravé sous la houlette du producteur Jerry Williams, alias Swamp DOGG. Le producteur qui vient de collaborer avec Irma THOMAS est persuadé du talent de sa découverte. Doris Willingham devient Doris DUKE, Williams expédie sa découverte à Macon aux Capricorn Sound Studios, le studio d’enregistrement du label Capricorn de Phil Walden, un endroit annonciateur du Southern Rock latent et où viendront bientôt Duane ALLMAN, WET WILLIE, Arthur CONLEY, MAXAYN ou KANSAS.
Jerry Williams décidant de prendre en main la réalisation du disque, il participe à la coécriture de 10 des 12 titres, principalement avec Gary BONDS et Maurice Gimbel, George Jackson intervenant sur deux morceaux. Dans l’esprit du producteur, il s’agit avant tout de créer une dynamique autour de Doris en surfant sur une trame centrale, celle de la désillusion amoureuse, vaste thématique englobant la trahison, la déception, l’infidélité et la solitude, sujets en complet décalage avec les leitmotive Soul du moment. Non content de créer une sorte d’album concept via une solide équipe de songwriters, Williams s’occupe aussi de la partie artistique, des arrangements, tout en officiant au piano. Williams bénéficie également de l’apport de deux ingénieurs du son, Jim Hawkins et Joel Fine, qui apportent leur savoir faire et un certain cachet. Dernier atout, à l’instar des nombreuses productions basées à Muscle Shoals en Alabama, c’est une redoutable équipe d’accompagnateurs majoritairement blancs qui s’affaire avec dévotion auprès de la chanteuse : une jeune guitariste d’à peine vingt ans, Jesse « Pete » Carr, ancien membre d’Hour Glass en compagnie des frères ALLMAN, le claviériste Paul Hornsby (ex The Minutes, Hour Glass, NITTY GRITTY DIRT BAND), le bassiste Robert « Pops » Powell (ex Young Rascals et futur Crusaders et seul black du quatuor) et le batteur Johnny Sandlin (ex Five Minutes, Hour Glass, Clarence Reid). Une solide troupe qui se fait aussi connaître sous le nom de Macon Rhythm Section.

La seule chose que n’a pas prévue Jerry Williams, c’est le peu de promotion que fournira Canyon Records. Si le producteur avait déjà édité via le label Canyon quelques singles d’Irma THOMAS et de Sandra PHILLIPS et si Total Destruction To Your Mind, son premier disque, véritable ovni de Soul Funky où il se montrait en caleçon assis sur la carcasse d’un wagonnet, on ne peut pas dire que son esprit de fidélité sera récompensé. Le label californien fondé au début de l’année par les frangins Wally et Lenny Roker connaît déjà quelques turpitudes. La micro firme qui publiera une cinquantaine de singles sans se soucier d’une chronologie cohérente doit changer de nom, Canyon étant déjà utilisé par un label de Phoenix depuis le début des années 50. Un préjudice qui, ajouté à un manque de promotion efficace, et surtout à un nombre d’exemplaires insuffisants, ne permet pas au disque de percer.

En dehors de publications japonaises difficilement accessibles et souvent hors de prix, le disque connaît bien divers pressages, souvent légalement discutables. Il faut attendre 2005 pour que Kent Records édite I’m A Loser The Swamp Dogg Sessions… And More, un CD regroupant les deux premiers 33-tours de Doris DUKE agrémentés de trois faces sous le nom de Doris Willingham (le single "Jay Boy" et un titre "Hi-Monty"). En 2010, Kent publie une réédition vinyle de l’album d’origine avec une pochette identique.

Contrairement aux tendances émergentes du moment, via James BROWN ou The JACKSON FIVE, ou des productions liées au Philly Sound, au Funk californien de Charles Wright ou à celui de Maceo PARKER, aussi instrumental qu’abrasif, Doris DUKE nous balance ici un disque dans lequel les fondations reposent sur un chant lacrymal, un timbre d’église et un accompagnement minimaliste avec une basse aussi ronde que profonde, une guitare sobre et bluesy, Des claviers proches d’un orgue d’église et une batterie en arrière-plan faisant office de métronome. D’entrée, les petits pizzicati de piano viennent renforcer le chant désespéré de "He’s Gone"*.La technique vocale forgée sur les bancs d’une paroisse profite indéniablement à "I Can’t Do Without You", une compo de George Jackson enregistrée quelques semaines plus tôt par Clarence CARTER. Sans pousser sur sa voix, Doris se montre plus convaincante que le guitariste non voyant, le sentiment d’abandon se reflétant nettement mieux via une voix féminine. Un léger saupoudrage de chœurs et de cordes vient raviver la puissance dramatique de "Feel Start Walking". "Ghost Of Myself" retranscrit pleinement un manque d’estime et reflète sans démesure le désespoir de la chanteuse. "Your Best Friend" voit encore l’orgue churchy conforter le sentiment de tristesse. Seconde visite à Clarence CARTER avec "The Feeling Is Right", là encore un tempo plus modéré, une orchestration plus concise et un chant gorgé de feeling présentent des atouts, selon nous, bien supérieurs à ceux de la version originale. Bobby Hatfield, ex-membre du duo RIGHTEOUS BROTHERS, reprend le morceau lors d’une session à Muscle Shoals.

La face B débute sous les meilleurs auspices avec "I Don’t Care Anymore" ⃰ ⃰, une pépite de Soul Folk qui instaure un doux climat de profonde quiétude. L’Ecossaise LULU en distille quelques mois plus tard une excellente version pour Atco. « Congratulations Baby »⃰ ⃰ ⃰ permet de délivrer un message qui se veut plus optimisme, avec un chant accentuant la tension dramatique, des chœurs répondant à la chanteuse comme lors d’un Spiritual. Ce titre sort en single sur la bannière de RRG Records, le nouveau label fondé dans l’urgence par Wally ROKER, filiale de ROKER RECORDS à l’instar de Soul Clock et de Stardom. La chanteuse enchaîne sur des pépites de Soul Sixties passées complètement inaperçues : "We’re More Than Strangers" qui rappelle le répertoire de Candi STATON, "Divorce Degree" qui pourrait laisser penser qu’elle a été enregistrée dans les studios FAME de Rick Hall. Le ton de "How Was I To Know You Cared", où les problèmes de vie de couple ressurgissent, se fait plus plaintif. Le disque s’achève avec son plus gros succès "To The Other Woman (I'm The Other Woman)" qui rate de peu le Top Ten. Repris par LULU, décidément très fan de son aînée, et par les SOUL CHILDREN dans une version guimauve.

Lors d’une interview postérieure, Jerry Williams déclare qu’il croyait fortement au concept de l’album et aux qualités vocales de Doris DUKE, mais que l’album ne s’était pas vendu comme escompté suite à la faillite de Canyon Records et aussi parce que les hommes s’étaient très vite détournés du disque à cause des paroles jugées déprimantes et guère à leur avantage. Ce qui n’empêche pas Doris DUKE de recroiser la route de Swamp Dogg quelques années plus tard.

Le label Manhattan a publié en 1980 l’album Funky Fox, en se servant du nom de Sister Doris DUKE, alors que la chanteuse, revenue à ses premiers amours, le Gospel, ne semble avoir chanté que deux titres. Doris a enregistré un dernier single en 1981 pour la firme Beantown, petit label basé à Cambridge, dans la banlieue de Boston où la chanteuse était revenue s’établir. On perd se trace à partir de là. Certains habitants de Boston et des adeptes d’une Congrégation baptiste l’entendraient chanter le dimanche dans une chorale de la ville.

⃰ Il s’agit d’un titre homonyme à ceux des Chantels et de GRATEFUL DEAD.
⃰ ⃰ Titre homonyme à ceux de Phil COLLINS et de Lester Flatt.
⃰ ⃰ ⃰ Titre homonyme à ceux de Barbara Lewis et de Lenny Welch.

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- Doris Duke (chant)
- Jesse 'pete' Carr (guitare)
- Robert 'pops' Powell (basse, chœurs)
- Johnny Sandlin (batterie)
- Paul Hornsby (orgue, piano, chœurs)
- Jerry Williams Jr. (piano, chœurs)


1. He's Gone
2. I Can't Do Without You
3. Feet Start Walking
4. Ghost Of Myself
5. Your Best Friend
6. The Feeling Is Right
7. I Don't Care Anymore
8. Congratulations Baby
9. We're More Than Strangers
10. Divorce Decree
11. How Was I To Know You Cared
12. To The Other Woman (i'm The Other Woman)



             



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