En 1994, le label d’Austin Antone’s Record publiait le premier disque de Lavelle WHITE, une jeune et pimpante chanteuse de 65 ans. Mais Madame White avait déjà enregistré sous un autre nom il y a de cela plusieurs décennies.

Lilia Lavell White voit le jour en 1929 à Amite City, une bourgade de 4000 âmes au Nord de Baton Rouge. Issue d’une famille nombreuse composée de cinq frères et quatre sœurs, ses parents s’escriment dans la cueillette du coton de la patate douce et du maïs. Sa mère, pianiste et organiste dans la chorale locale, l’encourage à poursuivre ses leçons de chant. A 12 ans, Lavell que tout le monde appelle LaVelle enregistre son premier 78 tours au sein de sa chorale religieuse. A 15 ans, elle suit l’un de ses frères installé à Houston. Douée pour l’écriture et la composition, elle commence par se produire dans les tavernes et les petits clubs du quartier. C’est là qu’elle rencontre les guitaristes Johnny Copeland et Clarence Hollimon qui lui permettent de refaire ses gammes dans un registre profane. Elle chante aux côtés de Clarence Green, Leo Baxter et Guitar SLIM avant de tourner en Oklahoma et au Texas dans une troupe de rodéo constituée de cowboys et de vaqueros noirs. Par le biais de Copeland, elle rencontre Don ROBEY, le truculent patron des labels Peacock et Duke. Si Robey a une réputation de filou, il prend LaVelle sous son aile et lui permet de se produire au Bronze Peacock Ballroom, sa propre boite. Bientôt, la jeune chanteuse enchaine brièvement comme chanteuse en second dans l’orchestre de BB KING. Entre 1958 et 1964, elle enregistre six singles⃰ sous le nom de Miss LaVell. Don Robey va se servir des talents d’écriture de sa jeune pouliche, Lavelle écrivant plusieurs chansons à succès pour Bobby "Blue" BLAND, la vedette du label.

En 1964, à la fin de son contrat avec Duke Records, Lavelle s’installe à Atlanta, tourne dans le giron des ISLEY BROTHERS, Gladys KNIGHT, Jerry BUTLER et Gene CHANDLER. Elle enchaîne principalement à Houston et Atlanta en compagnie du guitariste Larry Davis avec qui elle fait équipe. Durant les eighties, elle s’installe à Chicago, devienne chanteuse attitrée du Kingston Mines, collabore avec Junior WELLS, Lonnie BROOKS et Buddy GUY avant de regagner Houston en 1993. Clifford Antone qui vient d’ouvrir son club et de fonder son label sympathise très vite avec la chanteuse et va lui permettre de revenir en studio, trente ans après ses derniers enregistrements. La vétéran enregistrera trois nouveaux disques, fera des apparitions remarquées San Francisco Blues Festival, au Ponderosa Stomp Festival, au New Orleans Jazz & Heritage Festival et enfin en 2010 en Italie au Poretta Soul Festival où à 81 ans elle cassa tout simplement la baraque. En 2016, elle figurait au titre d’invitée à un album du bluesman italien Fabrizio Poggi.

Enregistré en mars 94 à l’Arlyn Recording Studio d’Austin, studio prisé par Dr. JOHN, Gregory PORTER, Lonnie MACK ou Jimmie VAUGHAN, Miss Lavelle bénéficie d’une production soignée, peut-être même trop sage, d’un répertoire cohérent, d’une troupe d’accompagnateurs à faire pâlir plus d’une vedette et aussi de chaleureuses retrouvailles, Lavelle retrouvant ici son ami Clarence Hollimon (mari de Carol Fran). Excellente auteure, Miss White apporte ici pas moins de huit compositions, neuf si l’on considère que ce gredin de Don Robey s’est accrédité "Yes, I’ve Been Crying". Parmi ces différentes compo, la chanteuse reprend deux de ses titres édités par Duke, ceux-ci bénéficiant d’arrangements revus et corrigés par Derek O’Brien correspondant ainsi à notre époque : "Yes, I’ve been Crying" s’appuie ici sur les jeux de guitare parfaitement complémentaire de Derek O’Brien (ex Sue FOLEY, James COTTON, Lazy LESTER) et de Clarence Hollimon. Dès les premières mesures, un léger parfum de Texas Blues vient se mêler aux fragrances d’un New Orleans Sound. Cette petite perle fera le bonheur d’Amanda Humphrey et de Rose Davis. Second titre de sa période Duke, "Stop These Teardrop" s’appuie sur la complémentarité des jeux de guitare, O’Brien n’ayant de cesse de mettre Clarence Hollimon au diapason, tandis que la rythmique se dévoile comme la vraie gardienne du temple. Cette chanson fera la joie de Lou Ann BARTON, Angela STREHLI deux chanteuses blanches attitrées du club Antone et de Reba Russell.

Coécrit avec la chanteuse Sarah Brown, également productrice, "Go To The Mirror" se déguste comme un Soul Blues au tempo extra lent, le sax de Kazanoff nous renvoyant en plein dans une ambiance early sixties. Malgré son titre, "Voodoo Man" s’inscrit clairement dans le domaine du Texas Blues que ne renierait pas W.C. Clark. Lavelle White se montre plus espiègle sur "Why Young Men Go Wild", le ton moqueur étant renforcé par un bon nappage cuivré. "About The Facts Of Life" (aucun lien avec la série tv américaine des années 80) nous parait moins convaincant avec son tempo mid eighties et une mélodie ayant le cul entre deux chaises, une Soul Pop 80 et Texas Soul 90. Issu d’une session remontant à 1991, "Wrappin’ Up Our Love" nous dévoile une chanteuse dynamique, un brin chafouin, l’orgue de Reese WYNANS apportant un cachet supplémentaire. Les deux guitares et la chanteuse accélèrent l’allure sur "It’s A Miracle" ⃰ ⃰, les cuivres tentant de suivre la cadence. Enfin elle se réapproprie "Lead Me On", titre qu’elle avait composé pour Bobby BLAND offrant une saveur inattendue. Si la version nous semble plus délicate que la reprise de Gwen McCrae, on recommandera les essais de l’accordéoniste Lynn AUGUST et du Graham Central Station.

Au rayon des reprises, on ne retrouve ici que du cousu main. Si "For You My Love" n’est pas accrédité, il s’agit bien de la création du pianiste chef d’orchestre Paul Gayten popularisée par Larry Darnell. Si les interprétations de Ray SHARPE et James BROWN demeurent les plus connues, Lavelle nous offre ici une version épurée dans laquelle les deux guitaristes s’offrent chacun un remarquable solo. "Tin Pan Alley", avenue regorgeant de maisons d’éditions et de coupe- gorge, aura inspiré plus d’un musicien. Du pianiste Curtis Jones, son créateur, à Little MILTON en passant par Johnny WINTER et Stevie Ray VAUGHAN, le titre aura connu moult tambouilles, Andrew Brown nous en offrant probablement la meilleure version. Lavelle White se sort de ce traquenard sans la moindre égratignure, le sax essayant pourtant de faire planer une atmosphère glauque renforcée par les touches chirurgicales de guitare. Terminons ce panorama avec "You’re Gonna Make Me Cry", une pépite de Deep Soul popularisée par O.V. WRIGHT. Si le titre a connu de remarquables relectures via Etta JAMES, Toni Lynn WASHINGTON ou les STAPLES SINGERS, l’organiste John Polk imprime un décor churchy superbement agrémenté par un trio de choristes qu’on croirait venu tout droit des cieux.

Le label de Clifford Antone aura permis de découvrir ou de redécouvrir de nombreux talents. N’hésitant jamais à donner une chance à de jeunes talents, le producteur, patron de club aura également permis à de nombreux vétérans, boudés pour d’obscures raisons par de nombreuses maisons de disques, de revenir en studio parfois de longues années après leurs débuts. Avec cet album, Lavelle WHITE prouvait qu’à 65 ans elle en avait encore sous la pédale.

⃰ Le label espagnol Sleazy Records a édité en 2017 le 25 cm Stolen Love contenant les 12 faces Duke gravées sous le nom de Miss La Vell.
⃰ ⃰ Il s’agit d’un titre homonyme à ceux de Barry MANILOW et CULTURE CLUB.