Le label Peacock de Don Robey proposait dès sa création de nombreuses productions dédiées au Gospel. The Original Five Blind Boys, The Christland Singers, les Golden Harp Singers font figure de précurseurs. Si Robey a multiplié les enregistrements profanes, le producteur lancera à partir de 1952 une série numérologique spécialement consacrée à la musique religieuse. C’est bien connu, à l’église on ne mélange pas les serviettes et les torchons. Le catalogue Peacock va s’agrandir avec les arrivées de nombreux ensembles chantant les louanges des évangiles parmi lesquels The Sensational Nightingales, The Dixie Hummingbirds, The Bells Of Joy, le Révérend Cleophus Robinson ou le Spirit Of Memphis (pour ne citer que les principaux).

Grand amateur d’armes à feux, personnage se situant parfois à la limite de la loi, Don Robey demeure durant les années 50 le patron noir le plus prospère dans l’édition musicale américaine avec les labels Duke, Peacock et diverses filiales. En 1973, ce vieux grigou, paradoxalement adoré de ses artistes attitrés, vendra son entreprise à ABC Dunhill qui sera elle-même rachetée par MCA en 1979. En musique, les gros mangent souvent les plus petits. Don Robey ne profitera guère de ses émoluments, son cœur le lâchera à l’été 75, le bonhomme allant rejoindre son créateur à 71 ans.

Durant les années 70, si le Gospel est toujours bien présent en Amérique, s’il sert d’appui spirituel lors des moments difficiles, la donne a quelque peu changé depuis l’assassinat de Martin Luther King. Si le Gospel a longtemps été incarné auprès de l’Amérique blanche et noire par Aretha FRANKLIN, Al GREEN, James CLEVELAND ou Shirley Caesar, le registre subit quelques permutations. Au fil des années, il se modernise intégrant les tendances du moment. C’est ainsi que la Soul et le Funk deviennent petit à petit des ingrédients naturels du Gospel.

De nos jours, certains pasteurs disposent de programmes radios importants destinés à dresser des louanges envers le Seigneur, à drainer des foules d’adeptes et de bergers mais aussi, avouons le, à amasser de rondelettes sommes d’argent, le nerf de la guerre ! Le Gospel et le Negro Spiritual (plus traditionaliste) sont toujours bien présents aux States, comme on peut le constater à chaque cérémonie célébrant les anniversaires du 11 septembre, où tout le monde se tient la main en cherchant subrepticement le salut du Seigneur, une récompense ultime selon certains.

Drôle de nom que ce CROWNS OF GLORY, traduisible par les Couronnes de la Gloire. La couronne céleste est une thématique récurrente dans les évangiles et principalement dans le Nouveau Testament. On n’en compte d’ailleurs plusieurs : la couronne incorruptible, la couronne de justice, la couronne de vie, la couronne de joie et enfin la couronne de la gloire, cette dernière étant une marque du céleste destinée à récompenser les élus de la maison de Dieu. Pour résumer, toutes ces couronnes sont attribuées aux croyants en guise de récompense, au vu de leurs œuvres et actions sur la terre.
Ah … bien sur, n’oubliez pas la couronne d’épines dont on coiffa Jésus, initiative sympathique au demeurant même si on peut rester sceptique devant cette tendance peu accommodante.

En 1974, alors que Don Robey s’est retiré des affaires Peacock décide d’enregistrer The Crowns Of Glory, un ensemble vocal constitué à parité de trois chanteuses et trois chanteurs. La pochette propose divers contrastes, on est d’abord frappé par la neige qui enrobe les trottoirs de cette allée, mais plus encore que cette neige bien blanche, c’est le sourire de ces six artistes qui étonnent. Nul doute à avoir, ces gens sont heureux, peut-être ont-ils reçu leurs couronnes des mains du Seigneurs en personne. Nous devons ce pittoresque visuel à Jim McCrary, un photographe longtemps affilié au label A&M célèbre pour avoir concocté la pochette de Tapestry de Carole KING.

Le disque s’ouvre avec "Ain’t No Sunshine", gros carton de Bill WITHERS. Souvent reprise mais rarement égalée, la ballade évoque par l’intro la reprise des TEMPTATIONS avec une guitare acoustique, mais contrairement au groupe de la Motown, l’accompagnement demeure squelettique et épuré tout le long du morceau. Le chant de Bill Shepherd parvient à nous faire dresser l’épine dorsale. C’est autre chose que les versions boursoufflées de Nancy SINATRA, Michael JACKSON ou Tom JONES. On ne parle pas de Patricia KAAS ou de COEUR de PIRATE qui se prendront allègrement les pieds dans le tapis. Le répertoire profane s’arrête net, l’ensemble reprend « Christian », un traditionnel chanté avec ferveur par Debra Body. Même si le Seigneur ne fait pas partie de votre quotidien, on a quand même envie de taper dans ses mains et d’entamer quelques ondulations en attendant le vin de messe, tandis que l’orgue influe une ambiance bien churchy.

La frontière entre musique religieuse et la musique séculière est parfois aussi mince qu’une feuille de papier à cigarette. Si "Lord Hold Me In Your Arms", coécrit par Bill Shepherd et le Révérend Leo Daniels, s’annonce comme une ballade Soul typique du milieu seventies, les paroles ne laissent guère de doute : "Every night I lay to sleep - I pray to the Lord my soul you keep … I go to Jesus in secret prayer". La face A se termine sur une ballade quasi lascive avec "I Don’t Want To Do Wrong", création de la famille Knight (Gladys KNIGHT & The PIPS). Si encore une fois l’orgue et le jeu des questions réponses, procédé destiné à renforcer la conviction de l’auditeur, sont bien présents, c’est la ligne mélodique qui retient l’attention, celle-ci étant annonciatrice des futures ballades Disco qui allaient inonder les ondes.

La face B s’ouvre avec une intro d’orgue d’église, pour un peu on croirait entendre un petit farfisa de fabrication italienne. "I Can’t Thank Him Enough" est en réalité une compo de Leo Martin, un producteur plus connu sous le nom de Len Weinsman qui aura composé pas mal de R&B pour le label Skylark et pour Roy BROWN, comme quoi la musique du Diable peut parfois mener à Dieu. L’Homme et ses doutes font partie intégrante du Gospel mais aussi du Folk ; "Worried Man" a connu des multiples variantes dans le Country Gospel, le Folk, le Blues et le Gospel. La Carter Family, Pete SEEGER ou le KINGSTON TRIO en firent des adaptations Folk reconnues. Ici, malgré un nappage d’orgue bien crépusculaire, la guitare nous renvoie vers un Blues d’une toute beauté, très évocateur du répertoire de Little Milton. La voix de ténor de Billy Shepherd fait ici sensation. Sur "Jesus Is Coming To Gather His Own" c’est une atmosphère Jazzy qui découle du titre, l’orgue fait penser à Rhoda Scott, tandis qu’au milieu de morceau la voix de tête de Len Martin semble s’emballer pour une bonne cause : Jésus venant chercher les siens. Debra Brody a les honneurs de conclure les débats avec "Won’t It Be Grand", une ballade sous un enrobage d’orgue qui tente de nous emmener là-haut vers le céleste.

Si l’album ne dépasse pas les 32 minutes, "Won’t It Be Grand" s’avère intense du début à la fin. Les voix sont expressives et communicatives, la chanteuse Debra Brody se révèle particulièrement opiniâtre, pleine de conviction, son chant ne part jamais en vrille malgré la difficulté des titres. L’accompagnement parfois minimaliste constitué d’une guitare, d’un orgue et d’une rythmique permet de lancer une machine parfaitement huilée. Un disque méconnu réédité en CD et vinyle en 2016 par le label Play Back avec sa pochette d’origine.