Neuvième album pour Youn Sun NAH avec She Moves On. Figure emblématique de la nouvelle scène du Jazz Vocal, la coréenne est bien connue du public hexagonal. Enfant de la balle, sa mère chantait dans des comédies musicales alors que le paternel dirigeait une chorale, Youn Sun étudie le piano à cinq ans, instrument qu’elle délaisse à treize ans afin de se consacrer au chant. La native de Séoul poursuit son cursus universitaire, sortant diplômée en lettres. Elle travaille pendant un an dans la mode avant de retourner à ses premiers amours en intégrant le Korean Symphony Orchestra.

En 1995, elle s’installe dans la capitale afin d’étudier la musique et le Jazz. Elle s’inscrit à la CIM, enchaîne à l’Institut National de Musique à Beauvais et commence tout naturellement à se produire dans les clubs d’Ile de France. La qualité de son chant lui permet de se faire remarquer très rapidement, Youn Sun va rafler les concours, multiplier les récompenses et écumer les festivals de Jazz. Elle entame sa discographie en 2001 avec un auto-produit, quatre ans plus tard elle décroche le Grand Prix de la Révélation au Juan Jazz Festival.

Après un retour dans son pays, le label allemand ACT la prend sous contrat ; a partir de 2009 elle va multiplier les concerts dans le monde entier, se produisant principalement avec le guitariste suédois Ulf Wakenius et le contrebassiste Lars Danielson. En 2011, l’album Same Girl devient disque d’or et sera le disque de Jazz le plus vendu en France. Trois ans plus tard, devenue vedette internationale, Youn Sun participe à la cérémonie de clôture de Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi où elle présente Pyeong Chang, ville qui accueillera les futurs Jeux d’hiver.

Cet album fait suite à Lento. Il aura fallu quatre ans pour que Youn Sun Nah enregistre un nouvel album. Enregistré en décembre 2016 au Sear Sound à New York, studio qui aura vu passer Eric CLAPTON, Bob DYLAN, Patti SMITH et toute une pléiade de jazzmen, sous la houlette du producteur multi –instrumentiste Jamie Saft, fidèle équipier de John ZORN, ce disque marque une rupture par rapport aux opus précédents. Youn Sun Nah est ici secondée par une toute nouvelle équipe Ce brutal changement de line-up n’est guère perceptible, Jamie Saft présent ici aux claviers est réputé pour sa versatilité et sa facilité d’adaptation. Pour épauler la chanteuse, le producteur organiste a fait appel à une belle brochette : le contrebassiste Brad Jones (ex Ornette Coleman, Elvin Jones, Jazz Passengers), le batteur Dan Rieser (ex Norah Jones, Rosanne Cash) et l’immense guitariste Marc Ribot (déjà entendu avec Marianne FAITHFULL, Tom WAITS, Alison KRAUSS, Tanita Tikaram ou Alain BASHUNG). Cette fine équipe n’a pas été concoctée par hasard, les quatre musiciens se sont largement croisés en session et sur scène aux côtés de John ZORN, LOUNGE LIZARDS, ELECTRIC MASADA, Elvis COSTELLO ou Roy Nathanson. Ils ont l’habitude de jouer ensemble, capables d’évoluer dans divers registres allant du Free au Downtown Jazz en passant par la Soul et l’Americana.

La chanteuse ne délivre ici que deux créations placées en ouverture et en fermeture. D'emblée, "Traveller" donne le ton de l’album : voix parfaitement maitrisée, superbe diction, émotion garantie et un accompagnement sans esbroufe dans lequel la contrebasse de Brad Jones produit un certain cachet. Composé spécialement pour l’album par le couple Saft, "Too Late" pourrait s’inscrire dans un disque de Bettye LAVETTE, les claviers se fondent comme un délicat enrobage, tandis que la guitare sans la moindre fausse note nous emmène parfois sur des chemins de traverse entre Jazz et Soul Americana. Seconde composition avec "Evening Star", une ballade Jazzy dans laquelle la coréenne prend des intonations plus aigües, tandis que la guitare prend ici une coloration légèrement exotique faisant frémir un léger parfum des iles.

Au rayon des reprises, Youn Sun Nah surprend par ses choix souvent éclectiques. On reconnaîtra sans trop de peine "Teach The Gifted Children" figurant dans le Growing Up In Public de Lou REED. Si les arrangements sont mitonnés aux petits oignons à l’instar d’un accompagnement épuré, on apprécie la voix pleine de nuance de la chanteuse. Les détracteurs de Lou Reed pourront ainsi se repaître de cette interprétation. Autre bon inusité avec "She Moves On" qui donne son nom à l’album. Si l’original de Paul Simon écrit pour l’actrice Carrie Fisher contenait des percussions tribales, là les tambours s’effacent au profit d’une guitare avide de pizzicatos, Youn Sun n’a plus qu’à poser son délicieux timbre sur ce doux moment de quiétude. Elle reprend "The Dawntreader", issu d’un album soixante-huitard de Joni MITCHELL. Si la version originale proposait une ballade Folk mélancolique sous un enrobage de guitare acoustique, ici c’est le piano qui prend la relève pour une ambiance un brin plus chaude. La guitare de Marc Ribot met en valeur le timbre de la chanteuse sur "No Other Name", un inusité du trio Folk Peter Paul & Mary.

Issu d’un traditionnel irlandais ou celtique, "Black Is The Color Of My True Love’s Hair" est tombé dans l’escarcelle du Folk US puis du Jazz avant de tomber dans les mains d’une variétoche sans âme. Repris par Burl Ives et Pete Seeger, le morceau deviendra populaire par l’entremise de Nina Simone qui en délivrera une version aussi belle qu’emmerdante Depuis le titre a été repris à toutes les sauces (Jimmy SOMMERVILLE, Meshell NDEGEOCELLO, The CORRS). La présente version vaut surtout par la qualité du chant, du travail de guitare et de la contrebasse, mais avouons qu’on a rarement fait plus barbant. Issu du folklore britannique, "A Sailor’s Life" a connu plusieurs variantes et plus d’un intitulé. Si Vernon Dalhart et la Carter Family évoquent l’histoire d’une jeune fille demandant à son père de lui construire un bateau afin de retrouver son bien aimé, celui-ci s’est hélas noyé, c’est Joan O’ Bryant une chanteuse Folk du Kansas qui a délivré la première mouture de cette histoire de marin. FAIRPORT CONVENTION contribuera à rendre cette triste ballade plus célèbre. Pour le coup, Youn Sun NAH prend une coloration assez proche de CROOKED STILL. Si on apprécie les jeux de claviers et de cymbales qui tissent une atmosphère étrange, il aurait peut-être été bienvenu de raccourcir le morceau qui finit par se perdre en route, à l’image du marin de la chanson. Elle s’attaque à "Fools Rush In", une ballade à l’eau de rose de Johnny Mercer, reprise à toutes les sauces, le plus souvent immangeables (SINATRA, PRESLEY) et s’en tire plutôt pas trop mal, même si la version d’Etta JAMES se situe, à notre sens, un cran au dessus. Excellente reprise de "Drifting", un titre posthume d’HENDRIX, qui fait oublier le massacre de Chris Whitley. Là Marc Ribot laisse libre court à sa guitare et prend les commandes dans un registre pouvant évoquer John ZORN.

Youn Sun Nah se situe un cran au dessus de ses concurrentes actuelles (Diana Krall, Stacey Kent ou Norah Jones). Si on peut penser que le disque manque de compositions (un quart du contenu), le choix des reprises demeure assez judicieux. Mais She Moses On vaut surtout par la qualité de l’orchestration, des arrangements, de l’excellente cohésion et la bonne mise en place entre les instruments qui placent la chanteuse au diapason. Youn Sun NAH se réapproprie ici presque toutes les reprises. Note 3,5.