A l’heure ou le label Arhoolie de Chris Strachwitz fête ses soixante ans, il nous a semblé de bon ton de nous attaquer à cette petite pépite et ainsi de rendre un hommage au fondateur de ce petit label indépendant. Ethnomusicologue, chercheur passionné Chris Strachwitz avait quitté son Allemagne natale pour s’établir en 1947 dans la patrie de l’Oncle Sam. Grand fan de Jazz, il allait peu à peu bifurquer vers le Hillbilly, le Blues et le Folk avant de tomber sous le joug de musiques du terreau sudiste comme le Zydeco, le Cajun , le Norteňo ou le Bluegrass. Riche d’un catalogue d’environ 700 albums, Arhoolie est tombé en 2016 dans l’escarcelle de Smithsonian Folkways, une maison d’édition à but non lucratif dont le seul but est de sauvegarder, d’encourager la diversité culturelle et de faire perdurer un Folklore issu du monde entier sous toutes ses formes.

The CREOLE BELLES est un quatuor exclusivement féminin fondé en 1995 sous le beau soleil de Californie, contrairement à ce que pourrait suggérer la pochette. La violoniste Delilah Lee Lewis, ancienne membre occasionnelle du groupe Beausoleil de Michael Doucet, est tombée très tôt dans la marmite du violon. Infirmière de profession, elle deviendra une virtuose du violon au contact des meilleurs fiddlers du cru : Canray FONTENOT, "Bois Sec" Ardoin, Dewey Balfa ou Dennis McGee. On ne peut rêver meilleurs professeurs. Delilah allait s’associer avec Maureen Karpan, une prof de piano et d’accordéon installée dans la Baie de San Francisco depuis des lustres. Formée à bonne école (Marc Savoy, Jesse Lege et « Bois Sec » Ardoin), elle a longtemps joué en Californie au sein de la troupe All Star Cajun et collabore de temps à autre avec les ZYDECO FLAMES, l’un des meilleurs groupes de Zydeco. La guitariste Karen Leigh les rejoindra, apportant sa science de la rythmique. La contrebassiste Karen Celia Heil, ancienne complice d’Amy Hofer avec laquelle elle forma un duo Old Time, viendra grossir la troupe. La pochette nous dévoile un intrus en la personne d’Andrew Carrière, le rejeton de Joseph "Bebe" Carrière et cousin du regretté Roy CARRIER. Etabli à Alameda (Californie) depuis les sixties, Andrew s’est spécialisé dans l’accordéon et le triangle délaissant le Zydeco pour un répertoire Cajun. S’il joue au sein du California Cajun Orchestra, il est considéré comme artiste invité, les quatre femmes tenant à garder une certaine identité.

Le groupe nous offre ici une belle invitation au voyage avec de belles escapades en territoire Cajun. L’accent Cajun de Delilah Lee Lewis frappe les esprits dès "Bernadette", grand succès de Canray FONTENOT pour ce two step hyper entrainant. La formation poursuit sur une cadence identique avec "Zydeco Tous Pas Tous", autre two step de BUCKWHEAT ZYDECO, chanté cette fois par l’unique mâle du combo. On appréciera au passage le jeu d’accordéon (un double rang) de Maureen Karpan et les breaks incessants d’Andrew qui n’ont de cesse de relancer la machine. Une véritable invitation à la danse. On passe ensuite à une valse avec "Dimanche Après-Midi", énorme succès local de "Bois Sec" Ardoin. Ils enchainent avec un medley groupant trois titres des Carriere Brothers, une combinaison avec de savoureux changements de rythmes. "Domino" un two step instrumental plein de vie de Will Balfa prend la suite. Un bel hommage au violoniste, mort dans un accident de la route avec son frère Rodney deux membres des célèbres Balfa Brothers. Autre two step infernal avec "La Talle Des Ronce", œuvre de l’accordéoniste Cyprien Landreneau, qui n’a pour but que de faire danser.

Au répertoire de la musique Cajun figurent aussi des chansons plus tristes, aux rythmes plus lents. A l’instar de l’adage "Qui veut voyager loin ménage sa monture", la formation offre une valse lente teintée de mélancolisme avec "Wade’s Blues", une variante de "The Chill Of A Saturday Afternoon" de Wade Fruge. Autre belle valse avec "Valse A Cathleen" dans laquelle le fiddle instaure vague à l’âme et spleen. Belle reprise de "Adieu, Rosa", un vieux standard du tandem Dennis McGee/ Sady Courville. L’accordéon et le fiddle en totale symbiose nous offrent un two step volontairement ralenti avec l'impayable "T’es parents ne veulent plus me voir", mais on pourra méditer et sourire en découvrant les paroles: "Ta maman veut plus me voir- Elle croit que je suis un gros saoulard- Ton papa veut plus me voir- Il croit que je suis criminel- Ouais, ça me fait du mal- chère mignonne, je jongle à toi…". Tout un programme !
La voix d’Andrew Carrière raisonne sur "Tit Galop Pour La Pointe Aux Pins", un mixte regroupant le titre d’Adam Herbert et "Cousine Lilly" une compo du duo Milton Pitre/ John Bertrand enregistrée en 1929 par la Paramount.

Andrew Carrière apporte une composition avec l’humoristique "L’Homme Cajun Travaille Si Dur", entre quadrille et two step, un titre où l’accordéon à boutons endosse le premier rôle. "Reve De Soûlard", un inusité de Nathan ABSHIRE, nous entraine entre une valse et un two step médium. L’histoire joyeuse d’un mec qui rentre chez lui bourré après avoir joué et paumé du pognon et s’aperçoit que sa femme, lassée par ses excès, l’a quitté. L’accordéon cajun et le frottoir remettent au goût du jour "Johnnie Billy Goat", grand succès de Boozoo CHAVIS, délivré ici dans une version traditionnelle en droite ligne avec l’originale. Comme son titre l’indique, "Valse A Pop" est une valse lente, un vieux trad. du duo McGee/Courville interprété ici avec deux violons à l’instar de la version d’origine. Sur un rythme similaire "La valse De Minuit" se révèle délicieusement mélancolique, l’accordéon à boutons apportant une texture des plus rurale. Interprété sous forme de quadrille festive, "Hee Haw", petit hit cajun de Walter Mouton offre le meilleur rôle à l’accordéon de Maureen Karpan tandis qu’Andrew Carrière ne cesse de relancer la cadence à l’instar d’un maitre de cérémonie ou d’un chauffeur de salle. Le CD s’achève sur un Old Time avec mandoline qui tranche avec le reste de l’album. Composé par Lee Birch, un copain des filles, "Creole Belle", avait pour but de placer le nom du groupe, une tradition chez de nombreux groupes Cajuns et Zydeco, dans une chanson. Mais le mot de la fin revient au petit canidé de Delilah, avec un petit aboiement plus festif que méchant.

Ce disque respecte les traditions et les codes de la musique cajun. La moitié du répertoire est constituée de titres d’avant guerre issus du terroir cajun. La symbiose entre les différents instruments acoustiques saute aux yeux ou aux oreilles. Quel que soit l’instrument, tous les belligérants sont de vrais virtuoses. Andrew Carrière et la frotteuse Myrna Cooper (membre de Funky Gators) apportent une touche de gaité. Enfin signalons pour terminer un répertoire aussi cohérent qu’efficace et une production bien léchée et sans surenchère.