La neige se fait désirer cette année. Le froid aussi. Au moment où je compose ces lignes, un anonyme 24 Décembre, un franc soleil fait monter la température à près de 15 degrés. Il est possible que le Père Noël n’ait pas besoin de ses après-skis et se pointe en mocassins sous la cheminée.

[Lorsque je reprends ces lignes après légère maturation, l’hiver est arrivé avec ses grosses chaussures montantes, masquant les chaussettes nativistes…]

[Lorsque je finalise ces lignes après légère maturation, le redoux est arrivé avec ses fines tongs, dévoilant les pieds estivaux…]

Au cœur des bois, aucun changement pour les loups, voyant défiler les heures sombres comme autant de millénaires. L’aurore boréale croit toucher au sublime, elle n’est finalement que logique. La lame terminant le couteau refuse de pénétrer la chair. Les plantes brûlent de froid. Le petit ruisseau est à jamais silencieux, figé sous ce pont antédiluvien.

A l’intérieur du refuge, près de l’âtre, se repose tranquillement un moine de 115 ans d’après ce qu’il raconte. Il ne connaît pas les guerres, les folies, les épidémies. Son monde se résume à cette montagne, une vie réglée comme du papier à musique, avec soleil, blizzard, étoiles et prières.

"Einkehr" exerce sa lenteur, à l’inverse des grands coureurs de 100 mètres, un interminable pas dérangeant la calme entropie des neiges éternelles. POPOL VUH, ASH RA TEMPEL, TANGERINE DREAM avec ou sans Klaus SCHULZE. "Zeit", "Vuh", "Exil Sils Maria", "Traummaschine". Entre les illustres cousins germains allemands, drone et ambient se mêlent, au cœur d’une nuit au milieu des déserts glacés de l’Himalaya, priant pour une heure en moins. Les guerriers vikings, nichés sur la colline voisine, se rassemblent autour du tam-tam. Les énigmatiques carcasses d’avion ne révèleront pas leur secret.

"Inneres Licht" poursuit son exploration, essayant d’apprivoiser le vent via borborygmes malfaisants et discrètes notes de synthé par-dessus les nappes de neige. Ce sont ces écrans télévisuels qui ne reçoivent plus de signal, se murant dans leur mystère. Les programmes sont définitivement interrompus.

"Kraft" manifeste son manichéisme véhément. Un riff supersonique, métaphore de la puissance, d’ailleurs traduction littérale de l’intitulé. Il s’éteint bientôt, remplacé par un martèlement industriel, se faisant entendre au loin. Un pouls régulier rappelant que la vie est encore là, sous un mince filet de poudreuse. C’est l’instant décisif, quand les notes de guitare déchiquetées résonnent à l’horizon. Des cris incompréhensibles et bestiaux arrachent un ultime espoir, des fragments d’âme, délétères. Un drone vrille la cervelle, jusqu’à l’évanouissement. Le cœur s’arrête. Les larsens, les dissonances. Tout ce qui est soi-disant laid acquiert sa beauté.

L’homme n’était pas moine, il n’avait qu’une vingtaine d’années. Au fin fond du coma, des images défilent à toute vitesse.

Une lente, douloureuse dérive quelque part en Suisse. Sam, l’infortuné chien, gratte désespérément à la porte de l’Auberge mais personne ne répond plus. Dans son regard vague, le guide distingue encore ses mains, se superposant à celles de l’Autre l’appelant au dehors, parmi le paysage d’hiver, lui soutirant son ultime laps de raison.

Au cœur d’une autre galaxie croquant un décor similaire, Mann rejoue la partition de Judas. Cooper cherche l’ultime denier égaré dans le permafrost, se débattant en même temps contre le méthane pénétrant son casque. Son instinct de survie le conduit aux vers de Dylan Thomas, une veilleuse rassurante. « N’entre pas docilement dans cette douce nuit. Le vieil âge doit gronder, tempêter au déclin du jour. Hurler, hurler à l’agonie de la lumière ».

Einsamkeit signifie « solitude, isolement » en allemand. C’est également l’intitulé de la neuvième démo du projet PAYSAGE d’HIVER, détenu par WINTHERR.

3.5/5