Recherche avancée       Liste groupes



      
EXPERIMENTAL/AVANT-GARDE  |  STUDIO

L' auteur
Acheter Cet Album
 

ALBUMS STUDIO

1982 Big Science
 

- Membre : Reed / Anderson / Zorn

Laurie ANDERSON - Big Science (1982)
Par K-ZEN le 21 Avril 2021          Consultée 748 fois

Le terme « robot » a été employé pour la première fois en 1920, lorsque l’écrivain tchécoslovaque Karel Čapek écrivit la pièce R.U.R. (Rossumovi univerzální roboti soit Les Robots Universels de Rossum), menée au Théâtre national à Prague le 25 janvier 1921 et jouée à New York dès 1922. Plus précisément, il semble que ce soit plutôt son frère Josef qui ait inventé le mot, se basant sur le tchèque « robota » signifiant « corvée ».

Se déroulant dans le futur, la pièce présente des machines biologiques à l'apparence humaine, que l’on peut nommer aujourd’hui androïdes ou clones, dénuées de sentiments et fabriquées dans l’usine R.U.R. située sur une île. Afin de les rendre moins fragiles et plus polyvalents, un ingénieur a la brillante idée de les doter d'une sensibilité limitée et d'une intelligence un peu plus développée. Dix ans plus tard, devinez donc ce qui va se passer… On jurerait lire un brouillon préfigurant le Cycle des Robots paraphé Isaac Asimov, adapté sous l’appellation I, Robot au cinéma.

Sur cette jaquette, Laurie ANDERSON applique consciencieusement les préceptes édictés par Čapek ou plus tard The SAINTS et KRAFTWERK. Veste scientifique immaculée, verres blancs fumés, la machine ne possède même plus la vue, se contentant de quelque autre sensation… Toucher, symbolisé par ces mains cherchant quelque appui. Ouïe ou parole, permettant de faire les présentations.

On connaît Laurie ANDERSON comme compagnonne sur la route de Lou REED avec qui elle finira par se marier en 2008. On connaît également son talent certain de plasticienne. La musicienne est moins sous le feu des projecteurs, encore que…

Big Science, son premier disque, est en réalité la première pierre de son travail plus global et imposant United States Live, visuel autant que musical, brossant un portrait des États-Unis, aux thématiques tournant autour des sujets de technologie, communication, industrialisation, individualité ou attitudes changeantes vis-à-vis de l’autorité. Il se montre parfois alarmiste, voire crépusculaire, avec l’évocation de bâtiments en flammes et de crashes d’avion.

Le premier single qui en est extrait a rencontré un succès inattendu au Royaume-Uni, l’obligeant à represser des vinyles pour satisfaire la demande. Aussi visuel que musical avec son clip où figure le langage des signes, "O Superman (For Massenet)" est bien évidemment un des climax de cet album, une raison de vivre même puisqu’il conduisit l’artiste à signer son contrat pour le disque dans lequel il figurera.

Après avoir vu son interprétation en concert par le ténor américain Charles HOLLAND, ANDERSON écrit la chanson en puisant dans l’aria « Ô Souverain, ô Juge, ô Père » tirée de l’opéra Le Cid de Jules Massenet (d’ailleurs dédicacé dans le sous-titre), influence flagrante dès les premières lignes : « O Superman / O Juge / O Mère et Père », répétée plusieurs fois dans l’introduction. Susan McClary suggère plutôt dans son livre Feminine Endings qu’ANDERSON fait écho à une autre œuvre de Massenet, Le Jongleur de Notre-Dame, opéra composé en 1902, décrivant les bras de la mère (alias la Vierge Marie) étreignant et bénissant le mourant Rodrigo.

Le texte, déclamé à travers un vocodeur, consiste en une conversation téléphonique entre le narrateur et une voix mystérieuse. Tout d’abord, la voix laisse un message laissant entendre qu’elle est la mère du narrateur mais, ne recevant pas de réponse, se révèle comme étant quelqu’un que le narrateur ne connaît pas mais connaissant cependant ce dernier. Celui-ci répond finalement, demandant « qui est-ce véritablement ? ». La voix s’identifie alors comme « la main qui prend » et informe notre héros que les « avions américains » arrivent. Il cite ensuite le slogan du James Aloysius Farley Post Office Building, « Ni neige, ni pluie, ni chaleur, ni morosité des séjours de nuit ne détournent ces coursiers de l’achèvement rapide de leurs tournées désignées », devise officieuse de l’Administration postale américaine, inspirée d’une ligne des Histoires signées Hérodote mentionnant le service de courrier plutôt infaillible pour l’époque de l’empire perse sous Xerxès Ier.

La chanson se poursuit sur la strophe : « Quand l’amour est parti, il y a toujours la justice/ Et quand la justice est partie, il y a toujours la force/ Et quand la force est partie, il y a toujours maman », un emprunt au chapitre 38 du Tao Te King attribué vraisemblablement à Lao Tseu : « Quand le Tao se perd, il y a la vertu. Quand la vertu se perd, il y a la morale. Quand la morale se perd, il y a le rite. Le rite est l’enveloppe (l’écorce) de la vraie foi, le début du chaos ».

Le narrateur implore enfin d’être pris dans les bras rassurants de sa mère, des « bras longs, électroniques, pétrochimiques ». Les bras de la rassurante Amérique, omniprésente mondialement, via guerres, plans de développement ou relance, influences diplomatique et culturelle. Une Amérique parfois contestée, poussée dans ses retranchements comme lors de la mission top-secrète Eagle Claw d’Avril 1980 en Iran évoquée en filigrane. Ayant pour objectif de sauver les otages américains de l’ambassade de Téhéran – voir "Storm The Embassy" des STRAY CATS, ou le film Argo avec Ben Affleck pour plus de précision –, l’action, qui se soldera par un échec cuisant dû à une mauvaise planification, aux tempêtes de sable et aux défaillances technologiques et humaines, portera un coup à la réputation des USA et provoquera la chute de l’administration Carter dans la foulée.

Musicalement, la chanson est une ample portion de musique ambient électrostatique jouant avec le vide, structurée par un drone formé de la syllabe « Ha », parfaite respiration percussive. Des oiseaux ainsi que des notes de claviers à l’humeur bucolique se font entendre un peu partout, de même qu’un saxophone doublé au synthétiseur à la fin, alors que la chanson se termine, celui de "From The Air" en fait. Un autre moment fameux, qui l’a précédé.

Car oui, l’album commence par un « bonsoir ».

Au bord de la syncope, vaporeux, traversé d’un thème énorme concocté au vocodeur saupoudré de clarinette et saxophone, "From The Air" est peut-être encore plus terrifiant par sa thématique. Une crise d’angoisse, s’égarant par fugaces instants dans une allégresse disproportionnée voire schizophrénique. Le capitaine-pilote narrateur, plutôt rassurant, avertit ses auditeurs sans aucune vibration dans sa voix – voire un rire non dissimulé – qu’il vont subir un crash aérien, enchaînant avec les consignes habituelles d’avant-atterrissage. Une référence à Jacques a dit, ou plutôt Piotr Szut, horrifié par cette piste beaucoup trop courte sur l’île indonésienne, préconisant les mains sur la tête, de préférence « dos contre cloison avant ». Tout cela est-il bien réel toutefois ? « C’est le moment. Et c’est l’enregistrement du moment » clame bravachement Laurie, sans se douter que ses dires revêtiront une résonance encore plus certaine près de vingt ans plus tard.

Ailleurs, des violons, de l’avant-garde, des cornemuses, des claquements de main, des vocaux parlés en allemand, des fanfares de clarinette. Toujours ces structures libres, éclatées. Des intitulés, champs lexicaux obliques, ésotériques. Un aspect expérimental marqué. Néanmoins, aucun autre moment n’atteint ces deux-là. Loin de là. Tant pis. Certains artistes, album après album, courent après des instants si décisifs dans une carrière.

La carte magnétique laissée par Jenny Simmons n’était qu’un piège, certes assorti d’une mise en garde. La curiosité a pris le pas sur la prudence qui aurait dû être de mise. Au cœur du complexe, devant l’invention redoutable, le formol se déforme, se reforme, prenant la place qui lui est due. L’homme, écrasant une orange dans sa main, ne peut plus distinguer son sang du cœur rougeoyant du fruit. « Cet homme est… dangereux ».

Ce n’est plus un homme. Seulement une machine qui rêve.

A lire aussi en POP par K-ZEN :


CHROMATICS
Closer To Grey (2019)
Rigidité cadavérique




THE FLAMING LIPS & TOM JONES
Duck Dodgers (2003)
Tom chante Daffy


Marquez et partagez





 
   K-ZEN

 
  N/A



- Laurie Anderson (chant, vocoder, farfisa, obxa, percussion, synthés)
- Roma Baran (basse farfisa, harmonica de verre, baguettes, claq)
- Bill Obrecht (saxophone alto)
- Peter Gordon (clarinette, saxophone tenor)
- David Van Tieghem (batterie, rototoms, timbales, marimba)
- Perry Hoberman (verres, baguettes, frappement de mains, flûte, pic)
- Rufus Harley (cornemuse)
- Chuck Fisher (saxophone alto et tenor)
- Richard Cohen (clarinette, basson, saxophone baryton, clarinette )
- George Lewis (trombone)


1. From The Air
2. Big Science
3. Sweaters
4. Walking & Falling
5. Born, Never Asked
6. O Superman (for Massenet)
7. Example #22
8. Let X=x
9. It Tango



             



1999 - 2024 © Nightfall.fr V5.0_Slider - Comment Soutenir Nightfall ? - Nous contacter - Webdesign : Inox Prod