La démarche est osée. Elle n’est pourtant pas nouvelle. Le précédent album Kill For Love ouvrait déjà boutique par une reprise, le crépusculaire "Into The Black" de Neil YOUNG. Cette fois-ci, le titre choisi est peut-être encore plus emblématique. "The Sound Of Silence" de SIMON & GARFUNKEL. Quasi a cappella, quasi-chant d’église. De la sacristie, s’élèvent doucement des notes d’orgue. Un simple rythme, passager. Des craquements de vinyle. Une version qui dépasse presque le dépouillement de l’original. C’est ainsi que Closer To Grey démarre, une glissade sur du sucre glace, une virée en Ford Mustang dans la ville anesthésiée par le sommeil.

CHROMATICS ne se destinait pas à cette pop synthétique, parfois furieusement à la frontière de ce que notre époque nomme synthwave, cette new-wave délicieusement rétro et horrifique, qui est aujourd’hui son quotidien. Ce n’était qu’un groupe de post-punk à ses débuts. Il commença sa mue lorsque tous les membres originels du collectif lâchèrent le guitariste Adam MILLER pour fonder un nouveau projet en 2003. Finalement, un mal pour un bien. 2 ans plus tard, la transformation était complète : CHROMATICS trouvait sa voie en accueillant Johnny JEWEL à l’électronique dans ses rangs, ainsi que Ruth RADELET au chant et Nat WALKER à la batterie.

"Je sais que tu es mauvais. Mais je ne peux rester loin de toi" chante RADELET sur le bien-nommé "You’re No Good". Ce qui devrait être une prise de conscience s’avère n’être qu’une impossible sortie d’assujettissement. Les histoires d’amour sont possessives, complexes, se terminant parfois dans l’incompréhension ou la violence. "Closer To Grey" est un titre quasi cold wave avec ce riff de guitare caractéristique. "Through The Looking Glass" ressemble à ces petits interludes que l’on trouve parfois sur les disques de black metal. Cette fraîcheur, un aspect prépondérant sur cet album. De la pop bien sûr, mais décharnée, spectrale, sépulcrale. "Light As The Feather", "Whispers In The Hall", "Love Theme" sont autant de balades dans des maisons fantômes, où les photos de famille oubliées et livrées à leur sort jaunissent et où les tapis recèlent parfois des secrets bien plus lourds que de la simple poussière.

Des talons-aiguille s’avancent doucement, en même temps qu’un visage de poupée. Glacial derrière son angélisme. C’est cette fille qui vient tout juste de tuer et qui ne comprend pas ou fait mine de ne pas comprendre ce qu’il se passe. Elle vous demande de la protéger, et c’est impossible de lui refuser quoi que ce soit. Déjà, la voilà qui brandit de nouveau son couteau pendant que vous l’enlacez. Elle l’enfonce entre vos omoplates et le tourne, délicatement, alors que les notes distordues finales et décisives de " Touch Red" s’égrènent, s’évaporent en même temps que les derniers fragments de vie. Le film aurait pu se dérouler ainsi. Seulement, la pochette offre un éclairage différent.

Des couleurs chaudes qui tapent à l’œil, une vitre étoilée, cette jeune fille au regard gris-vert et aux cheveux dorés, ces tâches de sang. Gisant sur la carpette, au milieu des morceaux de verre de cette table qui a volé en éclats. Au-dessus d’elle, se tient Robert Culp alias Carl Brimmer, le visage fermé, la gorge sèche et le dos de la main encore endolori. Bientôt, paraîtra sur le palier de la porte l’imperméable mité du lieutenant Columbo. Dans le reflet des lunettes de Brimmer, comme dans un rêve, il faut se faire violence. Tenter de faire comme si rien ne s’était passé.

Note réelle : 3.5