Même si le shoegaze n'est pas trop votre tasse de thé anglais, vous ne pouvez pas décemment lui enlever le fait qu'il a été une comète bien attirante, d'autant plus belle et méritante que sa vie n'a pas vraiment été un long fleuve tranquille. Les groupes qui ont essayé de la faire briller tant bien que mal ont été le plus souvent méprisés par la presse dite spécialisée et joliment ignorés par le grand public. Malgré une existence très courte (1991-1994), cette frange adepte d'une alliance combinant l'éther et l'électricité a connu une intense créativité artistique. A ce titre, 1992 est une année phare en belles parutions. Voyez plutôt ce qu'on pouvait trouver alors dans les bacs des disquaires il y a près de trente ans ! Le classique Going Blank Again de RIDE, le lumineux Spooky de LUSH ou le culte Doppelgänger des tourtereaux de CURVE. SWALLOW, ce plus que discret duo londonien à la vie comme à la scène et composé de Louise Trehy et Mike Mason, est arrivé incontestablement au bon moment : celui de l'âge d'or fragile du shoegaze.

Pour obtenir ce résultat, les Anglais ont profité de la fougue de leur jeunesse pour effectuer une démarche bien fofolle. Laquelle allez-vous me demander, pétris d'impatience que vous êtes ? Ils ont tout simplement envoyé au fameux label 4AD une demo. Le comble dans cette histoire, c'est que le duo obtient une réponse positive pour enregistrer un album dans la foulée, alors qu'il est quasi-inexpérimenté. En 1992, les choses pouvaient se passer ainsi. Un label particulièrement stable prenait le risque artistique et financier de signer de parfaits novices. Les choses sont parfois bien faites. Blow, le seul et unique album des Anglais, est sans conteste l'une des perles méconnues du shoegaze. Malheureusement, ces onze titres n'ont pu s'épanouir totalement à leur sortie car ils ont souffert de deux handicaps : une exposition déjà trop faible à l'époque et une comparaison embarrassante et permanente avec les Écossais de COCTEAU TWINS, tout ceci limitant en définitive un réel intérêt à la chose.

Je vous rassure d'emblée, SWALLOW n'est évidemment en rien une pâle copie sous ampli et mur du son du trio culte des années 80. Même s'il est de bon ton de nos jours de considérer COCTEAU TWINS comme l'un des pères fondateurs du mouvement shoegaze, ce qui est une aberration totale, les Anglais n'ont définitivement pas grand-chose à voir avec GUTHRIE and co. Pour contenter un peu les esprits chagrins, on pourra juste penser au fantôme d'Elisabeth FRASER sur le très pop "Taste Like Honey" ou le superbe "Oceans And Blue Skies". La même torpeur cotonneuse est présente mais ce nid est moins douillet. On essaye bien de se lover confortablement mais les cinglantes distorsions de Mason viennent toujours un peu vous gratter le dos. Petit caillou dans la chaussure. C'est bien ici que Blow prend tout son sens. Ce qu'il perd en facilité, il le gagne en saveur.

Si cet album ne s'éloigne jamais naturellement d'espaces empreints de brumes électriques, il ne ferme pas pour autant la porte au nez lorsqu'une certaine luminosité pop se présente. Cette formule est patente notamment avec "Lovesleep" et "Halo", deux instrumentaux. La boite à rythme martèle ainsi pour le premier un intraitable tempo tandis que les esquisses d'une guitare cristalline viennent ponctuer le deuxième. Et au milieu de la Tamise ? Des couches de claviers et la voix évanescente de Louise comme l'indique scrupuleusement le cahier des charges. SWALLOW est un petit trésor caché qui expose d'addictives mélodies. La plus belle est sans conteste celle de "Peekaboo" où alternent légèreté et lourdeur des guitares. La délicatesse ouatée n'est jamais en terrain conquis et doit aussi batailler pour se faire sa place. Elle peine parfois à prendre le dessus comme sur le sombre "Cherry Stars Collide" et son piano angoissant (TAMARYN si tu nous lis) ou s'épanouit à l'inverse entièrement comme le souligne l'évident "Sugar Your Mind".

Blow mérite amplement ses quatre solides étoiles. Il est le parfait exemple d'un shoegaze inventif qui a réussi haut-la-main à passer la simple épreuve du temps.