Elle a fait couler beaucoup d’encre, cette année 1977. Année du punk ? Oui, mais pas tant celle de sa naissance que de sa révélation au grand public, notamment par l’intermédiaire des SEX PISTOLS, Boys Band fabriqué mais non dénué d’intérêt.
Ah, le punk ! S’il reste un peu à part dans la myriade de courants et sous-courants dont le monde du rock aime à se gargariser, c’est qu’il n’est pas qu’un genre musical, il est également une posture. Mieux, on peut parfaitement ne pas être un grand fan de l’un, tout en appréciant ce que l’autre suppose : refus de l’ordre établi, goût revendiqué pour les idées anarchisantes et l’individualisme, mais aussi vraie conscience sociale, ce qui peut paraître contradictoire, mais ne l’est pas vraiment. Après tout, on peut se soucier de son voisin tout en restant jaloux de sa propre liberté.

New Boots and Panties !!* sort donc en septembre 1977. Ian DURY n’est déjà plus un perdreau de l’année, il a 35 ans, et a vécu plusieurs vies : professeur d’arts plastiques, peintre, chanteur du groupe Kilburn & The High Roads – qui a déjà enregistré un disque au succès si relatif que le groupe n’y a pas survécu.
DURY tourne dans le circuit des pubs depuis des années, de sa démarche claudicante, et pour cause ! Atteint de poliomyélite à l’âge de 7 ans, il en est sorti bien vivant mais avec un bras et une jambe gauche presqu’entièrement paralysés**. Pas de quoi l’arrêter, bien au contraire ! Ian DURY est du genre combatif***, et a le sens du spectacle. Il met donc son handicap en scène, l’intégrant totalement à son personnage de chanteur à gouaille et à accent cockney, le foulard autour du cou et les yeux fardés, une lame de rasoir en guise de pendant d’oreille.

Bon, mais hormis la lame de rasoir, où se trouve le punk là-dedans ? On y vient. New Boots and Panties !! est précédé de quelques jours par la sortie d’un 45-tours, "Sex & Drugs & Rock & Roll", titre dans lequel DURY chante avec son ironie coutumière que c’est tout ce dont il a besoin. Scandale !, et début d’un malentendu : Ian DURY a écrit cette chanson comme une bonne blague, le succès**** et l’époque la transforment en hymne punk et nihiliste. Et voilà DURY rattaché à un mouvement dont il ne fait pourtant pas partie, lui le déjà-trentenaire, trop distancié pour suivre quelque mode que ce soit.

Car New Boots and Panties !! n’est pas punk, ou alors pas uniquement. En fait, il n’est pas forcément aisé de qualifier la musique jouée, tant elle se nourrit de courants divers. On parle volontiers de pub-rock, terme commode mais pas très explicite. Disons qu’il s’agit indéniablement de rock, mais avec des éléments de funk, voire de disco. Quand on joue dans les pubs, il faut savoir tout faire. Le groupe, excellent, et que l’on sent rompu à toutes les situations, se distingue d'ailleurs de l’habituel combo guitare/basse/batterie, puisqu’on y trouve un saxophone, un piano, et même un Moog !
DURY, quant à lui, chante de façon souvent détachée et drôle, jouant des personnages que l’on croise dans la rue, à la façon d’un Lou REED, l’humour en plus. Le premier titre du disque en est un délicieux exemple : dans "Wake Up and Make Love With Me", DURY déclare sans sourciller : "I come awake / With the gift for womankind / You're still asleep / the gift don't seem to mind." Savoureux, non ?

La première face, la plus calme des deux, permet entre autres à DURY de rendre hommage à Gene VINCENT qu’il admire, et à son père, chauffeur de bus à Londres. Elle lui permet surtout de défourailler sa gouaille et de se payer un "Billericay Dickie" à l’accent à couper au couteau et aux aventures sexuelles débridées, le tout sur une musique de cabaret volontairement stupide. Billericay Dickie n’en sort pas grandi, mais quel plaisir !

"Sex & Drugs & Rock & Roll" ouvre la deuxième face des rééditions, et ce dès 1977. Cette chanson, dont tout le monde connaît le titre, est pourtant restée assez largement méconnue en France. Elle vaut pourtant le détour, mais déroutera l’apprenti keupon : pas de grosse guitare là-dedans, juste un lick enjoué et des descentes de toms visant moins à vous faire entamer un pogo qu’à vous faire danser.
Ce titre et le malentendu qui l’entoure en font une excellente transition vers la deuxième partie du disque, plus agressive et finalement plutôt punk. Car peu à peu, la tension monte, de l’encore planant – par la grâce du Moog – "Clevor Trever", on passe à "If I Was with A Woman", puis à l’éruptif "Blockheads" - qui deviendra le nom du groupe. Dès lors, c’est la hargne qui semble dominer, et même si l’humour demeure, "Plaistow Patricia" et "Blackmail Man" ont clairement l’énergie du punk, au moins musicalement.

Disque varié d’un groupe particulièrement solide et pouvant tout jouer, New Boots and Panties !! mérite largement d’être redécouvert. Ian DURY, faux punk mais véritable artiste, s’y révèle particulièrement attachant et réussit un véritable coup de maître avec un premier album qui est aussi son meilleur, assurément.


*A ceux qui se poseraient la question, le garçon qui accompagne Ian sur la pochette de l’album est bien son fils Baxter.
**Je tire ces éléments biographiques d’un bouquin signé Jeff Jacq : « Ian Dury – Sex&Drugs&Rock&Roll – Vie et mort du parrain du punk ».
***Le fait qu’il ait réussi sa carrière de chanteur en étant très handicapé en est une preuve, mais il a fait mieux : survivre au système éducatif anglais de l’époque, avec ce qu’il supposait de maltraitances diverses et d’humiliations variées.
****L’interdiction de passer le morceau sur la BBC a évidemment beaucoup fait pour son succès.