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Pierre HENRY - Pierres Réfléchies/la Noire à Soixante/gymkhana (2002)
Par RAPHAEL BADAWI le 8 Octobre 2007          Consultée 5203 fois

Il est temps de poser sur ce long nez mes bésicles de Père Castor pour vous raconter une histoire. Il était une fois, au temps où le sérialisme était roi, Pierre Schaeffer et Pierre Henry. En 1948, Pierre Schaeffer fonda ce qui deviendra le GRM et diffusa les cinq premiers essais de musique concrète de l'histoire sur les ondes de l'ORTF. Il rencontra ensuite le percussionniste Pierre Henry qu'il utilisera comme joueur de piano préparé en 1949 et 1950 sur son Bidule en ut et sur la Symphonie pour un homme seul. Pierre Schaeffer suivra alors une laie dont la primauté revient à l'enseignement (de futurs grands acousmates tels que Luc Ferrari, Denis Dufour, Francis Dhomont, ou François Bayle passeront par le GRM) alors que Pierre Henry deviendra purement créateur, voire, dans ses folles cosmogonies, démiurge. En 1958, les deux hommes divorcent, et Pierre Henry fonde le premier "home studio" de France, le studio APSOME.

Vingt-quatre ans plus tard, le 23 avril 1982, sont représentées pour la première fois, au grand auditorium de la Radio, ces Pierres réfléchies, officiellement adaptées d'un recueil de poèmes de Roger Caillois (écrivassier connu pour ses traductions de Borges) au cours d'un grand concert hommage à Pierre Schaeffer. Cinq sons (un si de basson, un fa dièse de hautbois, un do de flute, un do dièse de tuba, et un mi bémol de contrebasson) enregistrés à 76 cm/s sur la Kodak épaisse de la radio, sont les seuls matériaux premiers de ces Pierres réfléchies. Et jamais la musique concrète n'a eu autant de sens. Concrétion de roches, concrétion de sons acoustiques, accédant au musical par la structure ; ça grince, ça couine, ça mugit, ça tombe, ça pèse, c'est massif, ça devient poreux, dur, appointé, tranchant, ça s'agglomère et se minéralise, ça tempête et hurle parfois, les sons se croisent ou se décroisent, se superposent ou se nient, et sont guidés par une forme en arcade dont l'indicible sommet saillit subitement dans les pistes 4 et 5. Celui qui écoute du Pierre Henry pour la première fois sera de facto impressionné par la somme des possibles et les conditions d'apparitions de si peu de sons. Mais pour les autres...

Pour celui qui a écouté au moins une fois Le voyage (construit à partir de trois sons) et les Variations pour une porte et un soupir (construites à partir de deux sons), il y a ce constat consterné contristé et cafardeux : vingt ans après les oeuvres citées, notre sculpteur barbu n'a plus la même inventivité et le même sens du toupet, il fait de la musique trop concrète, il peine à nous surprendre, à nous submerger, et à nous faire trémuler et exsuder la liqueur de la joie. On trépigne peut-être un peu au milieu, mais davantage pour l'onde que pour sa potentielle théophanie. Bref, on est surtout diablement déçu. De même, on s'ennuie ferme, car non content de ne plus jouer formellement avec autant de maestria qu'avant, Pierre Henry ne joue même plus avec les matériaux en soi, adieu filtres, adieu modulations, ah, rattrapez-moi, je défaille ! Bien entendu, on pourrait alléguer que ces redondances outrageuses sont du fait de la pesanteur de la roche. Oui, probablement, sans doute, mais que cela ne soit pas une excuse pour accoucher d'une création profondément monotone au point d'en être rebutante - surtout pour les admirateurs du compositeur.

Ces Pierres réfléchies sont suivies, sur cette édition MIX 04.1, de La Noire à Soixante, datant de 1961 et amorçant la période (délicieusement) chenue de Pierre Henry. Beaucoup de silence, la moindre oscillation en prend pour le coup une valeur et un relief saisissants. Chaque créature sonore a ici une perfection rarement atteinte. Peu à peu, le bruit domine le silence, et finit par le recouvrir totalement malgré quelques plaintes chuintées. Une guerre entre les entités telluriques et celles de la celsitude ? Ici, comme toujours, les plus folles interprétations sont possibles. L'oxymore, la diachronie entre le titre contenant et les ondes contenues, est intéressant et peut être sujet à des kilos de glose dont nous nous passerons ici. Il s'agit du plus beau morceau de ce disque.

Et ça se conclut par Gymkhana, utilisant les mêmes alliages, les mêmes matériaux, les mêmes bandes magnétiques que la Noire à soixante et des sons similaires à ceux qui seront utilisés plus tard par les Pierres réfléchies. Nous sommes en 1970, le titre - renvoyant à des jeux d'agilité et de rapidité - est encore une fois en parfaite contradiction avec ce qu'il contient - qui ne bénéficie ni de la densité des Pierres réfléchies, ni de la précision, de la pureté, de la concision, et de l'équilibre parfait de la Noire à soixante. Un quart d'heure gris et aplati. Dommage.

En définitive, nous avons ici une gangue (les Pierres réfléchies et Gymkhana) recouvrant un améthyste éclatant (la Noire à soixante). Une profonde déception.

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   RAPHAEL BADAWI

 
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- Pierre Henry (tout)


- pierres Réfléchies (1982)
1. Jardins Possibles
2. Diaspre
3. Rêverie Des Roches Perforées
4. Adoratrice Du Soleil
5. Cristal Noir
6. Sel Gemme
7. Pierres Blessées
8. Exorde
- la Noire à Soixante (1961)
9. La Noire à Soixante
- gymkhana (1970)
10. Gymkhana



             



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