Deux albums en six ans, il va sans dire qu'Angelina WISMES a pris son temps, avec la nécessité de faire ce qu'il fallait pour calmer dignement les attentes de ceux qui la suivent depuis 2013 avec The Voice ou, pour ceux qui ignoraient cela comme votre serviteur, le bel hommage qu'elle avait rendu à BARBARA comme début discographique en 2015.

Son deuxième effort, plus personnel, est totalement au niveau espéré. On peut en parler comme l'une des plus belles créations en chanson française pour cette année 2021 mais pas seulement. Comme on s'y attendait, l'ambiance de cet album éponyme est à la fois intime, plus libre et donc enrichie musicalement par rapport au tribute à BARBARA. La voix de l'artiste nantaise fascinée par Paris est synonyme de finesse, et si l'on s'attend également à des moments plus orientés vers la pop, ils ne sauraient être trop calibrés pour paraître déraisonnables.

Entourée par l'Ensemble DécOUVRIR, Angelina WISMES interprète les chansons que lui a écrit la jeune artiste Inès DESORAGES, qui mène également sa propre carrière et participe à l'enregistrement de quelques morceaux de ce disque. Le musicien-arrangeur provençal Etienne Champollion, qui collabore avec les deux chanteuses, dirige cette formation entre musique classique et jazz/fusion. Les cordes d'un quatuor cohabitent en permanence avec la rythmique piano-basse-batterie-guitare ainsi que les instruments bois (clarinettes, flûtes) et les claviers-programmations.

Des arrangements très travaillés pour une chanteuse qui fait preuve de sensualité et de justesse, qui maîtrise un falsetto toujours agréable, chaleureux. "Vole", une des deux seules chansons (avec "Le ciel et l'horizon") qu'elle a composé elle-même, d'un passion forte et sur laquelle son interprétation est presque lyrique, rapproche la parenthèse BARBARA avec des éléments musicaux gainsbouriens du début des années 70 (la rythmique pop sur le refrain), sur la fuite du temps et des choses. Plus simple mais non moins belle, la version en piano-voix offerte à la toute fin du disque est à ne pas manquer.

Certains morceaux proposent des cocktails musicaux de haute volée. "Comme une caresse", sur l'éloignement en amour et les passages hivernaux qui en découlent, mêle cordes langoureuses avec un célesta de berceuse, des sons de boîte à rythmes pour mieux lancer l'entrée de la batterie ensuite, un clavier rythmique mais cristallin qui ne cache pas les tendances funk sous-jacentes. Celles-ci sont clairement affichées et partagées avec des influences populaires (accordéon, piano et cordes façon Europe de l'Est) sur le titre suivant "La tour Eiffel est pour moi", premières impressions féeriques de la capitale par la jeune nantaise. C'est l'un des deux ou trois refrains répétitifs de l'ensemble du disque, qui auraient peut-être mérité un peu moins de lourdeur.

La qualité demeure toutefois très égale et l'homogénéité marquée dans les thèmes, avec d'autres amours parisiennes ("Les feux de Paris", petite merveille folk empruntée à Louis Aragon et insufflée par Jean FERRAT) ou une belle sensation d'intimité avec la chanteuse qui nous parle de sa famille d'artistes ("Mes sœurs" : "nous sommes trois nuances de la même couleur" en clin d'oeil aux parents peintres). Autre lien direct avec la Dame en noir tant regrettée, Inès DESORAGES écrit beaucoup sur l'amour passionné qui conduit aux fins difficiles, le manque de chaleur ou alors la liberté retrouvée, et Angelina WISMES s'adapte parfaitement en y allant de sa personnalité. Légèreté dans la forme mais grande profondeur, poésie et beauté, tout simplement.

Ballades folk-jazz rêveuses et vaporeuses ("Taxi Saturne", "Mes sœurs"), Chopin et romantisme très éloignés de l'esprit du XXIème siècle et d'autant plus nécessaires ("Valse pour l'amour perdu..." et son clavier qui tintinnabule), toutes ces petites douceurs côtoient des titres qui contiennent plus de piquant : le goûteux et tribal "Chocolat" ("mon pauvre mari sait bien qu'il ne fait pas le poids", tout un programme !) "Ton chaton" (shuffle aguichant à la "Fever" et inspiration(s) vocale(s) avec choristes)...

Angelina WISMES ajoute d'autres cordes à son arc et son habileté avec "Tic-Tac", au ton jazz-fusion sur les couplets, puis "Ring Ding" où elle use d'onomatopées. Il y a encore l'excellent "Dégage !" où celui qui s'accroche en vain en prend pour son grade, pop-funk très bien écrite qui aurait pu contenir de vrais cuivres mais ceux-ci sont joués au synthé par la dame compositrice. Single tout trouvé, quoique trompeur, de ce superbe disque. Espérons que son suiveur ne nous fasse pas trop languir !