Nous avons tous entendu cet exemple de la chenille qui, pour évoluer et survivre dans un environnement où règne le principe de la sélection naturelle, devient un papillon. Eh bien parfois aussi, dans une industrie musicale où la concurrence fait rage, un groupe a besoin de se renouveler pour faire évoluer sa musique. Voilà pourquoi ISAWAHUNGRYANGRYGHOST (cf. chronique sur ce même site) n’était qu’un prélude. Une chrysalide douillette au sein de laquelle la larve de lépidoptère a pris le temps de se développer. Terminé le duo expérimental. Mick et Boris (notre Ryuk de l’équipe de rédaction) ont décidé de devenir un trio en recrutant Zeath au poste de vocaliste. Ancien compère de Mick au sein de feu Fragments of Dirt, celui-ci a apporté son expérience ainsi qu’une écriture clairement plus gothique au niveau des textes. Et c’est ainsi que le sombre et concis NAUFRAGE se substitua au long patronyme fantomatique du projet initial.

Dans la symbolique numérologique, trois représente le chiffre de l’équilibre. Ainsi dès l’entame d’Invocation, on ressent une plus grande maîtrise. Une meilleure vision globale du son du groupe. Sorte de croisement entre JOY DIVISION et The CHAMELEONS, ce premier titre emporte déjà tout sur son passage grâce notamment à un tourbillon de lignes de guitares post punk diablement efficace. Ce premier album se distingue en premier lieu par sa très grande homogénéité en termes de qualité de composition. La coldwave et le gothique sont pourtant connus pour la relative linéarité de leurs rythmiques et autres lignes vocales. Mais là aucunement. On prend au contraire énormément de plaisir à écouter chaque titre, en se surprenant même à imaginer à quoi pourra ressembler le suivant dans sa construction tant le trio a bossé son sujet pour proposer à l’auditeur la plus grande variété possible. Ayant déjà parlé des qualités musicales respectives de Mick et Boris par le passé (cf. chroniques de Places et Kirin Dosha), attardons-nous davantage sur la prestation du nouvel arrivé : Zeath, dont le timbre grave parcours élégamment l’album aux textures de morceaux lui laissant beaucoup de place pour s’exprimer.

À mi-chemin entre un Mark Burgess et un Tom Smith, auxquels vous rajoutez encore un soupçon de Ronny Moorings et de Matt Berninger et vous aurez un assez bon aperçu de la couleur de son spectre vocal. Autre atout de posséder dans ses rangs un parolier à l’univers bien défini est la variété de thématiques proposées dans les textes. On retrouvera ainsi la valeur de l’amitié sur "Treasure", le refus de la pensée unique avec "Into The Labyrinth", la passion torride "My Sweet Blasphemy", la pensée positive de "Leave The Night" ou encore l’atteinte des objectifs de vie dans "Realize Your Dreams". Leur auteur, même s’il confesse ne rien inventer ni révolutionner, voit cela comme une thérapie personnelle lui permettant d’écrire sur ses souhaits, ses rêves ou encore ses peurs.

C’est donc à un agréable naufrage dans des contrées froides et obscures auquel nous invite ce trio originaire de l’est de la France. De mémoire d’auditeur je pourrai citer bon nombre de premiers albums à s’être littéralement échoués musicalement. Mais avec ce trio expérimenté le seul risque de sombrer c’est bel et bien dans celui de l’addiction. Alors n’attendez plus ! Hissez les voiles ou allumer les machines, et embarquez sans plus tarder pour un aller simple vers les abîmes de l’âme humaine et la beauté parfois glaciale de ses émotions. Bon vent…