Perdre son innocence. L’abandonner. Un moment que nous sommes tous amenés à connaître à un certain stade de notre vie. La seule question qui demeure et qui nous guette, inexorablement, est la suivante : quand ? Voilà en tout cas la thématique qu’a choisi d’explorer Lyncelia dans son troisième album. Pour celles et ceux d’entre vous qui ne connaîtraient pas, il s’agit d’un groupe (on peut même parler de one man band) issu de la région parisienne et qui pratique une musique oscillant habilement entre gothic rock et coldwave. Influencé par des groupes comme The Cure, Indochine, The Sisters Of Mercy, Clan Of Xymox ou encore Depeche Mode, l’art de Lyncelia n’a eu de cesse d’exprimer, depuis sa création en 2008, sa fascination pour la beauté tragique, la féminité et la mélancolie. Fort de déjà deux albums (parus respectivement en 2010 et 2013), d’une apparition sur la compilation « Couleur Gainsbourg » avec son étonnante reprise de “Sorry Angel” en 2011, Lyncelia refait parler de lui en 2015 avec sa reprise très personnelle du classique d’Indochine, “L’aventurier”. En 2016, tel un métronome, le groupe honore sa réputation qui tend à proposer un nouvel album tous les trois ans et nous livre « Forsaken Innocence », son troisième opus. Celui de la maturité ?

Outre la qualité de composition, ce qui ne change pas avec Lyncelia c’est sa capacité à maîtriser son univers musical pour nous proposer le meilleur de l’alliage entre mélodies gothiques et minimalisme cold. En particulier au niveau des rythmiques qui sont le plus souvent lentes, répétitives, provoquant sur l’auditeur un effet à la fois hypnotique et lancinant. Ne cherchez pas ici de lignes vocales variées ou encore de montée lyrique en guise de pré-refrain. Point de cela chez Lyncelia. Seule transparaît dans la voix d’Alexis une monotonie inhérente au style musical qui lui est cher, et porteuse d’une douleur et d’un désenchantement poignants. Par deux fois, nous relevons l’intervention d’une voix féminine venant apporter un contraste de légèreté et qui contribue magnifiquement à créer une ambiance quelque peu fantastique et irréelle. À noter également que les paroles sont une nouvelle fois extrêmement soignées. Si “Lovelorn” et “Assigned For Disillusion”, ses deux précédents albums, traitaient respectivement de la langueur amoureuse et du désabusement, “Forsaken Innocence”, lui, parle ede l’aspect résolument éphémère d’une multitude de choses que la vie nous procure. À commencer bien sûr par la brièveté et la fragilité de l'existence elle-même. “Nothing lasts forever...”, tel qu'il est écrit mot pour mot à l'intérieur de la pochette de l'album en guise d'axiome révélateur. De prélude fataliste au voyage sonore auquel nous convie Lyncelia.
D’un point de vue purement musical cette fois, guitares et claviers tissent des canevas qui laissent tour à tour planer des atmosphères éthérées, pour ensuite nous faire retomber dans les affres de passages plus sombres à l’ambiance pesante, où la basse virevolte en essaimant des notes sourdes, empreintes de profondeur et de gravité. Le tempo des neuf morceaux qui composent cet opus est majoritairement très lent, flirtant parfois avec le piège d’une durée excessive (plus de neuf minutes par exemple pour « Insight » et « Forsaken Innocence »), ce qui pourra finir de lasser quelques auditeurs non happés par la spirale pourtant envoûtante des deux titres en question. Le genre de titres ne pouvant révéler leur potentiel dès la première fois et qui nécessitent des écoutes approfondies afin de faire rentrer l’auditeur dans une certaine introspection. La chanson « Unbound Pleasure » à contrario, avec son rythme un peu plus soutenu et presque dansant, fait figure d’exception sur ce disque et nous en venons à regretter l’absence d’autres morceaux de cette trempe sur cette galette, tant cette composition est une réussite. Peut-être une facette à davantage développer pour le prochain album. Nous suivrons cela avec attention.

En dépit de quelques petits défauts, ce troisième album de Lyncelia est tout de même une réussite en matière de musique tout empreinte de sensibilité ainsi que d’un magnétisme certain, et qui contribuera sans aucun doute à asseoir un peu plus la réputation de la formation parisienne en tant que valeur sûre de la scène gothic rock française.