ESSE est le nom d'emprunt du musicien français Sebastien Bournier, pilier du groupe SOUSBOCK et membre du trio LUNEAR (le seul nom de cette phrase qui ne repose pas sur la 19ème lettre de l'alphabet). Pour cette nouvelle expérience en solitaire, A Frenchy Moody Evening, il demeure quand même aidé de près par Paul J. No, également connu sous MIDRONE et lui aussi de LUNEAR. D'ailleurs, la sincérité et le sens de l'humour sont à l'honneur : If it sounds complicated, it probably means that it was played by Paul !

Toujours modeste à ce stade, en musicien conscient de ses limites et oeuvrant pour le plaisir des fidèles depuis le début des années 2000, ESSE souhaite ici d'abord penser à lui pour une fois (this time it's different, this time I've written these songs and this album for me, for my own and selfish pleasure) et, grâce à LUNEAR, a obtenu suffisamment de confiance dans son écriture en anglais pour pouvoir délaisser son français natal sur toute la longueur d'un album original, composé presque entièrement par lui-même.

"Just a Boy" donne la couleur globale de ce délicat et délicieux Frenchy Moody Evening, au titre bien choisi même si la connotation française se retrouve surtout dans l'accent, travaillé avec pratique mais non 'classique'. Le piano en accords délicats, plutôt folk, conduit une ballade mélancolique seul d'abord avec le chant de Sebastien Bournier, puis le tout se développe par l'effet crescendo, l'ajout d'autres parties instrumentales (rimshot de batterie, nappes de cordes) grâce aux synthétiseurs et programmations. Sur des paroles hésitantes et en proie à l'inquiétude, au doute voire la déprime (l'univers de l'artiste est rarement joyeux et léger !), le matériau musical est simple de base mais fourni suffisamment pour obtenir des chansons habillées avec goût.

Le son pourvu de quelques effets (notamment la voix) et spatial est adapté à ce travail intime où plane un doux parfum années 70. Aucune guitare en vue, juste une basse rare qui ressort au même titre que la batterie pour "Like It Dark", morceau plus orienté soul et chaloupé, mais avec des choeurs au mellotron, s'il vous plaît ! Toute une soirée faite d'élégance, feutrée, malgré les brumes de la tristesse ou de l'angoisse, se déroule ainsi pendant trois petits quarts d'heure et pour un plaisir certes d'abord personnel mais généreusement partagé. On remarque d'ailleurs au piano sur le titre final la présence du Belge Gilles SNOWCAT, invité unique.

Mis à part "Shut Down", une transition courte faite de mots parlés et bruits de foule, les chansons de A Frenchy Moody Evening sont peu ou prou dans la même veine, dans une ambiance parfois plus classique ("If It's Not Worth It" avec ses choeurs, violon et hautbois, la valse "Trusting You" où dominent le célesta et les cordes), ou parfois plus folk ("Nowhere Feels Like Home", pourvu d'une certaine magie !). "Absence of Pain" marque un certain pas en évoquant le mal-être de la personne pourtant guérie, perdant ses anciens repères à force d'avoir vécu avec, le tout souligné par un arpège de piano tout à fait dans l'empathie. C'est aussi le cas du solo de synthétiseur ondulant qui conserve de la finesse.

Une petite préférence du côté de "Daily Struggle", pour sa voix rêveuse et plus 'proche' que sur d'autres titres, pour son piano CP-70. Et également de "Foreign Amnesia", mister Bournier ne pouvant renier son passé ni même refuser l'occasion de remodeler une nouvelle fois le 'tube' de SOUSBOCK, carte de visite figurant sur l'album Compte à Rebours (2007). Version plus 'soul' où une voix féminine synthétique, bien que froide par essence, ajoute une autre forme de chaleur, aux côtés d'une boîte à rythmes de type Phil COLLINS et de quelques sons gentiment kitsch que le Mike OLDFIELD fin 70-début 80 ne saurait renier. Avec un autre traitement plus courant de nos jours (et sans doute moins bon même si plus clinquant), ce titre pourrait faire parler de lui sur les ondes diverses.