Dans le jeu des Sept Familles, les quatre membres de SMOKESTACK LIGHTNIN' figureraient dans la famille Un petit tour et puis s’en va, le groupe n’enregistrant qu’un unique album. Cette formation californienne prend son nom d’un célèbre titre gravé par Howlin’ WOLF en 1956, un titre aussi fumant que poisseux.

Fondé en 1967, SMOKESTACK LIGHTNIN' se taille une solide réputation sur Sunset Strip, les jeunes californiens se pressent pour les voir au Whiskey A Go Go où le groupe est devenu un habitué des lieux. Le quatuor enregistre deux singles pour le label californien White Whale, mais Ted Fegin, patron du label dont le logo est une baleine blanche ne fait qu’une promotion minime, préférant mettre ses billes du côté des TURTLES. Choix discutable mais de courte durée puisque Fegin mettra bientôt la clef sous la porte. En 1968, le combo fait une brève apparition dans "Dreams Of Glass" ("Rêves de verre"), film de Robert Clouse qui marque les débuts de Dany DeVito.

Leur manager Pat Colecchio, bien que travaillant activement pour la Warner et Columbia parvient à leur décrocher un contrat avec Bell Records, une firme qui n’allait pas tarder à tomber dans l’escarcelle de la Columbia. Suite à un premier 45 tours gravé en 68 avec "Light In My Window" couplé à "Long Stemmed Eyes (John’s Song)". Bell décide qu’il est temps pour le groupe de passer à l’étape supérieure et les expédie en studio sous la houlette de Bones Howe. Le producteur les connait bien, il était avec eux sur leur premier single Bell, qu’on retrouve incorporé ici. Ancien batteur, réparateur radio, ingé-son puis producteur, Howe sous son air de jeune communiant a déjà un sacré bagage, il a produit des sessions pour SINATRA, The EVERLY BROTHERS, Tom WAITS, The Association, Ornette COLEMANN et les TURTLES. Le bonhomme qui a hérité du surnom de Bones, à cause de sa maigreur, a surtout du nez et va laisser libre cour au groupe qui accumule les succès sur les scènes de la Baie de San Francisco. Pas de raison de changer une équipe qui gagne.

Formé par le bassiste Kelly Green (ex Frijid Pink), le batteur Art Guy (ex New Dimension) le guitariste Ric Eiserling et le chanteur percussionniste Ronnie Darling, SMOKESTACK LIGHTNIN' est surtout un groupe de reprise, les quatre musiciens ayant tous une passion pour le Blues, comme le laisse supposer son non de scène.?Le groupe ne propose ici que deux compos : "Light In My Window" avec une intro d’orgue et une paire de baguettes qui aiment assurément en découdre s’annonce comme un honnête Garage évocateur des REMAINS ou des STANDELLS. Seconde compo avec "Well Tuesday", titre qui figurait au générique du film "Dreams Of Glass", un Rock bluesy à consonance Garage en droite ligne avec leurs camarades californiens de The Other Half ou des Count Five. John Medici, un copain qui leur sert de chauffeur et d’homme à tout faire leur a composé "Long Stemmed Eyes (John’s Song)", une longue ballade de plus de six minutes dans laquelle le piano endosse le premier rôle bien soutenu par de délicates envolées de guitare. Un titre qui pourrait s’insérer entre BUFFALO SPRIGFIELD et le VELVET UNDERGROUND, le chant prenant ce coup ci des intonations à la Lou REED.

Six reprises viennent compléter la galette. Rien d’extraordinaire jusqu’ici, me direz vous (ou pas), sauf qu’afin de donner plus de consistance au quatuor, Bones Howe a décidé avec le consentement du groupe de faire appel à quelques renforts réputés avec Sandy Zevon, qui se fera bientôt connaitre sous le nom de Warren Zevon, le percussionniste Hal Blaine, l’organiste Larry Knechtel (ex Bread, BEACH BOYS) et le saxophoniste Wild Bill Holman, ancien partenaire de Stan Kenton, Bobby Scott ou Shorty Rogers, venu apporter sa touche Jazzy. Parmi ces six reprises, le Blues se taille la part du roi. En ouverture "Watch Your Step", formidable titre de Bobby PARKER, se déguste comme une excellente mise en bouche, s’il n’a pas de cuivre contrairement à l’intro de l’original, Eiserling et Zevon envoient la sauce tandis que Ronnie Darling est convaincant au micro. Une reprise qui nous semble supérieure à celles de MANFRED MANN ou du Spencer Davis Group.

Avec leur nom de scène, il aurait été ridicule et incongru de ne pas s’attaquer à leur idole le Loup Hurlant alias Howlin’ WOLF. C’est ainsi que le combo reprend "Three Hundred Pounds Of Heavenly Joy", a mi-chemin entre Blues et R&B dans une version pleine d’humour. Les californiens seront les premiers à reprendre ce hit mineur du Loup, le titre tombant plus tard dans le répertoire de nombreux ensembles de Blues. On retrouve un surcroit de douceur malgré l’intro pleine de rudesse de l’harmonica avec "Who’s Been Talking", autre grand titre d’Howlin’ Wolf popularisé dès le début des sixties. Le piano apporte du moelleux en contrepoint du chant.
Enfin comment ne pas tomber à genoux devant "Smokestack Lightning", grand standard du même Wolf. Pour l’anecdote, le Loup enregistra en 1952 "Crying At Daybreak", chanson inspirée par "Big Road Blues" de Tommy Johnson et "Stop And Listen Blues" des Mississippi Sheiks, rebaptisée "Smokestack Lightning" quatre ans plus tard. Les amateurs de Blues punchy se rappelleront des versions des YARDBIRDS, GRATEFUL DEAD ou George THOROGOOD, tandis que les puristes garderont en mémoire celles de Fred McDowell, Big George Brock ou celle plus récente de Bobby RUSH. Là, le combo nous délivre une véritable litanie de presque 13 minutes. Si un harmonica plaintif et les riffs obsédants d’une guitare prennent les rennes, le chanson passe par divers nuances au fil des minutes, jusqu’au tiers du morceau où la basse puis la batterie s’offrent de bons petits solos, tandis que Ronnie Darling par ses cris encourage ses équipiers. Un titre long mais qui se boit comme du petit lait.

Autre escapade au cœur de la musique noire avec "I Idolize You", titre sans succès d’Ike Turner délivré ici sous la forme d’un excellent Soul Blues dans lequel les Blossoms apportent un important cachet aux chœurs. Une version qui fait oublier la version guindée de Lizz Wright. Terminons ce panorama avec "Something’s Got A Hole On Me", une petite tuerie d’Etta JAMES, dans laquelle Ronnie Darling semble totalement habité, repoussé dans ses retranchements par les Blossoms. Un vrai feu d’artifice qui fait oublier les reprises des ORLONS, VAYA CON DIOS ou de Beth HARTH et de l’exubérant Joe BONAMASSA.

Malgré la qualité de son répertoire, SMOKESTACK LIGHTNIN sera dissous en 1970. L’aventure s’arrêtera au bout d’un disque et six singles. Le disque connaitra un pressage français distribué par Pathé Marconi avec une pochette différente. A titre personnel je n’ai jamais vu de visu cette pochette en dehors du net. [I]Off The Wall[FI] aurait été réédité en CD par un label russe qui n’a jamais entendu parler de droits d’auteurs. Si les différents membres disparaitront complètement des écrans radars, Ronnie Darling chantera localement et chantera brièvement au sein des WEAVERS. Le bassiste Kelly Green se produira sous le nom de Tom Beaudry et jouera au sein de TEEZER. Dernier point, il n’y a aucun lien avec son homonyme allemand oeuvrant dans le domaine du Rockab et du Rock dit alternatif. Un excellent disque de la fin sixties.