Il y a deux ans de cela, Christone "Kingfish" INGRAM épatait le monde du Blues avec la sortie de "Kingfish" publié par Alligator Records qui sortait là un de ses meilleurs atouts (voire la chronique de Bayou), album qui récoltait au passage 5 Blues Music Awards, rien que cela ! L’adolescent confirmait pleinement les espoirs entrevus sur de nombreuses scènes américaines. En 2017 et 2018 plusieurs de ses apparitions en Europe avaient estomaqué votre humble serviteur. Le natif de Clarksdale me rappelait par son jeu de guitare les premières incursions européennes de "Monster" Mike Welsh.
N’allez pas croire que Christone est un novice ou qu’il a la chance du débutant. Ce gamin, victime du syndrome d’Asperger, se produisait dès 2014 devant la Première Dame de l’époque. Il a élargi depuis son sceptre, se produisant auprès de nombreuses vedettes, le jeune guitariste étant très demandé.

On attendait avec impatience la sortie du fameux second disque, celui de tous les écueils. Certains de nos confrères, souvent avides de slogans à sensation et toujours pressés de dégainer une première salve, n’hésitent pas à qualifier le jeune guitariste comme le Futur du Blues. Il convient de ne pas mettre la charrue avant les bœufs, même si Christone a probablement récupéré quelques gènes favorables - sa mère est une cousine du chanteur Charley PRIDE - et de relativiser les choses.

Enregistré à l’Ocean Way au cœur du célèbre Music Row de Nashville, ce second opus porte la pate du producteur batteur Tom Hambridge. Par rapport à son prédécesseur, outre l’omniprésent Hambridge on retrouve le bassiste Tommy MacDonald et le pianiste Marty Sammon qui ont pris l’habitude d’épauler le garçon. Mais contrairement à ce qu’on était en droit d’attendre, "Kingfish" Ingram s’écarte quelque peu du répertoire du premier disque et les guest comme Billy BRANCH, Buddy GUY ou Keb’ Mo ont disparu au profit de chevronnés musiciens de studios, un choix probable du producteur qui veille âprement sur son jeune poulain.

Une impression d’énergie se dégage dès les premières écoutes. En ouverture, "662" teinté de tranches de vie autobiographiques, met les choses au point : si le guitariste demeure fidèle à sa région (662 est le code téléphonique régional du Delta) le tempo s’est durci, même chose au niveau des paroles, il est vrai qu’Hambridge apporte son grain de sel, co-écrivant ici les 13 pistes, seul le titre bonus lui échappe. Cette impression de gros son se retrouve sur plusieurs morceaux : "She Calls Me Kingfish" s’inscrit entre John FOGERTY et Mike ZITO, tandis que "Long Distance Woman" lorgne sur Joe BONAMASSA. Le nerveux "Not Gonna Lie" évoque les riffs vigoureux de Jimmy PAGE période LED ZEP ou celui de GOV’T MULE.

Le jeune guitariste a beaucoup évolué dans son approche musicale. L’idiome Blues est clairement palpable sur "Another Life Goes By", la basse de Glenn Worf se fait plus ronde tandis que la guitare expérimente quelques touches funky qui rappelle certaines séquences d’Albert KING, alors que le guitariste nous livre ses réflexions sur la violence et la haine dont son pays est victime. Christone se dévoile encore plus funk sur "Too Young To Remember", titre parlant des routes poussiéreuses des tournées et des juke-joints qu’il n’a pas eu la chance de connaitre. Christone excelle également dans le domaine du shuffle qu’il apprivoise avec une déconcertante facilité. "My Bad", l’autobiographique "Something In The Dirt" qui sonne comme un éloge au Delta, ou "That’s What You Do" qui fait penser à du John Primer en sont de parfaits exemples.

Notre bonhomme sait aussi tempérer ses ardeurs quand le besoin s’en fait sentir. Il incorpore deux pièces acoustiques "You’re Already Gone" remarquablement secondé par Bob Britt (ancien compagnon de route de Tracy NELSON, DYLAN et FOGERTY) et plus étonnant de par son intitulé "Rock & Roll", le titre bonus qui clôt l’album sous une allure de Folk Blues à la Tracy CHAPMAN. Une ode sous forme d’oraison à la mémoire de sa mère décédée. Son timbre vocal profond et tendu lui permet d’explorer la Soul Blues, registre qui lui sied comme un gant comme en atteste "That’s All It Takes" seul morceau épicé de cuivres qui nous ramènerait presque vers Lou PRIDE. Si vous aimez les Slow Blues, "Your Time Is Gonna Come" devrait vous combler. Pleine de douceur et de maitrise, la chanson contient tous les ingrédients nécessaires aux blues lents.

Si la production de Tom Hambridge, batteur, compositeur, arrangeur et dépositaire de nombreux succès auprès de Buddy GUY, Mike ZITO, James COTTON, Susan TEDESHI, Kenny Neal ou JW Jones, semble par moment trop lourde, elle permet néanmoins d’aboutir sur une sonorité bien contemporaine. Les musiciens de session liés à la scène de Nashville n’ont d’autres objectifs de placer le guitariste sur orbite. Une mission réussie mais le curriculum des guitaristes Bob Britt ou de Kenny Greenberg (ex Lucinda WILLIAMS, Cyndi LAUPER, Amy Grant) ne laissait présager que du bon. Si la surprise est moins grande que sur le premier bébé du guitariste, ce disque dense auquel il ne manque peut-être qu’une reprise sous forme de relecture demeure toutefois conseillé et "Kingfish" Ingram dispose selon nous d’une marge de progression qui risque d’en mettre plus d’un sur le cul. Note réelle 3,5.