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1995 Soul's Edge

SNOOKS EAGLIN - Soul's Edge (1995)
Par LE KINGBEE le 16 Décembre 2021          Consultée 615 fois

Il existe une véritable corrélation entre Snooks EAGLIN et Ray CHARLES. Si le premier a fait de la guitare son instrument de prédilection, alors que le Genius est passé maître dans la pratique du piano, les deux artistes ont été victimes d’un glaucome, très jeunes, et disposent d’une caractéristique particulière : ce sont de véritables éponges capables d’absorber de multiples influences. Le phénomène est évident chez Eaglin à un point tel que le bonhomme est difficile à classer entre le Blues et la Soul Nola.

Fird Eaglin Jr. voit le jour à la Nouvelle-Orleans en 1936. Victime d’un glaucome à un an et de santé fragile, il passe ses cinq premières années entre l’hôpital et une école pour non-voyants. Son père lui offre une guitare dès ses cinq ans, instrument qu’il maîtrise rapidement en autodidacte en jouant les chansons qu’il écoute à la radio. Il devient alors Snooks (l’espiègle) sobriquet qu’il doit à un personnage d’une émission radio. A 11 ans, il remporte son premier concours de guitare, il quitte l’école trois ans plus tard, bien décidé à devenir musicien professionnel. Au début des fifties, il intègre The Flamingoes *, groupe dirigé par Allen Toussaint dans lequel Snooks endosse les rôles de bassiste ou guitariste selon les besoins. En 1953, il participe à sa première session, accompagnant James "Sugar Boy" Crawford, l’auteur du standard "Iko Iko". Le guitariste grave son premier 78-tours sous le nom de Blind Guitar Ferd pour le label religieux Wonder. Afin de gagner sa croute, Snooks se produit comme musicien de rue, il lui faut attendre la fin des fifties pour que l’ethnomusicologue Harry Oster l’enregistre avec à la clef des titres qui seront édités ultérieurement par les labels Folkways, Storyville ou Prestige Bluesville.

Le guitariste rebondit chez Imperial, firme pour laquelle il enregistre une série de singles qui ne connaissent aucun succès. Polydor France édite alors un E.P sous le nom de Ford Eaglin avec le sous-titre 'Un nouveau génie'. Il enchaîne chez Fun Records et Bo Sound, deux micro label d’Eddie Bo, avant d’atterrir chez Sonet. En 1974, on le retrouve au sein du groupe de Mardi-Gras The Wild Magnolias, en compagnie de Monk Boudreaux et Bo Dollis. En 1983, le label Sundown édite une compilation avec 15 faces Imperial. Il faut attendra 1987 pour qu’il fasse reparler de lui avec "Baby, You Can Get Your Gun", un premier opus publié par Black Top. S’ensuivront Out Of Nowhere et " Teasin’ You, deux disques publiés sous la houlette des frères Scott, patrons du label Black Top. Alors qu’Arhoolie et Capitol lui consacrent plusieurs compilations, Snooks Eaglin, qui enregistre plusieurs Live, est l'invité de nombreux bluesmen. Suite au décès de Nauma Scott en 2002 et à l’arrêt du label Black Top, Snooks enregistre un dernier album The Way It Is édité par Money Pit Records. Soigné pour un cancer en 2008, il est terrassé par une crise cardiaque en 2009 alors qu’il devait se produire au New Orleans Jazz & Heritage Festival.

Enregistré en novembre 1994 à l’Ultrasonic Studios, studio d’enregistrement qui ayant vu défiler Dr. JOHN, Fats DOMINO, endroit tristement détruit par le passage de l’ouragan Katrina, "Soul’s Edge" pourrait résumer à lui seul la facilité du guitariste à se fondre dans plusieurs univers (Blues et Soul) tous liés à la Crescent City. Si la voix sablée et quelque peu nasillarde lorgne parfois sur le timbre de Ray CHARLES, le jeu de guitare demeure ici comme un modèle d’éponge, Spontex peut se faire du mouron. Eaglin se montre aussi à l’aise dans la Soul estampillée NOLA, le Blues que dans des domaines plus folkloriques liés au Mardi-Gras.
Le guitariste peut s’appuyer sur une production bien léchée de la part d’Hammond Scott, alors que Nauman effectue un travail de sape derrière les consoles. Eaglin bénéficie également de sidemen triés sur le volet : l’organiste Sammy Berfect (ex-Irma THOMAS, Solomon BURKE, Bobby PARKER), le bassiste de légende George Porter Jr (ex-METERS, Solomon BURKE, WINGS, Allen Toussaint) et le batteur Herman "Roscoe" Ernest III (ex-LaBelle, Dr JOHN, Irma THOMAS ou Etta JAMES) soit un trident d’enfer qui en impose. Ajoutez-y quelques invités comme les saxophonistes Fred Kemp (ex-Aaron NEVILLE, Allen TOUSSAINT, Dr John) et Ward Smith (ex-Bryan LEE, Sonny LANDRETH), le trompettiste Steve Howard (ex-Tracy NELSON, Paul McCartney) et le tromboniste Rick Trolsen (ancien équipier de Solomon BURKE, Bobby PARKER) et vous avez là l’une des meilleure sections cuivre imaginables.

L’album s’ouvre sur un bon petit coup de canon avec "Josephine" ≠, gros hit du tandem Dave Bartholomew/Fats DOMINO servant parfois d’hymne à la Crescent City. Aux fûts, Herman Ernest imprime une ambiance tribale sous des coups de baguettes qui nous plongent au cœur de la Nouvelle-Orleans, à deux pas du Voodoo et de Congo Square. Cette version étouffe complètement celles des THEM, Shakin’ Stevens ou Billy Swan. Ce titre terriblement festif est tombé depuis quelques années dans l’escarcelle du Zydeco. On conseille aux amateurs de Pub Rock les versions des FLAMIN’ GROOVIES et de Wilko JOHNSON.
Le guitariste fait preuve d’humour sur "Ling Ting Tong", vieux titre des Five Keys. La guitare diffuse un concentré de made in NOLA tout en se tirant une bourre avec le piano de Sammy Berfect. Son interprétation relègue à des années-lumière la reprise de Bill HALEY qui n’avait rien d’une comète.
Le ton monte d’un cran avec "Skinny Minnie", un Rock de ce même Haley. Délivré sous forme de shuffle, "Thrill On The Hill" n’est autre que le "Let’s Go, Let’s Go, Let’s Go" d’Hank Ballard. Eaglin propose ici une version plus que convenable avec une grosse ligne de basse tandis que ses notes de guitares vont à l’essentiel, évitant tout chichi. On conseille la cover de Bonnie Bramlett.
Autre bon moment, le beau clin d’œil à Earl King avec l’humoristique "Mama And Papa". Enfin, comment ne pas se laisser aller à deux pas de danse avec "I Went To The Mardi Gras", titre issu d'un carrefour aux multiples influences (Vaudou, Amérindienne, Caraïbe et Latine).

Au rayon de la Soul, le guitariste reprend "I’m Not Ashamed", compo de Don Robey popularisée par Bobby BLAND. Là encore, la version originale prend un sérieux coup de sabot derrière les oreilles, les arrangements et la symbiose entre les différents instruments faisant encore la différence. Autre petite pépite avec "Nine Pound Steel", fantastique morceau de Southern Soul de Joe Simon. A l’instar de l’original, Eaglin et ses sbires nous invitent à un beau voyage au cœur de la Nouvelle-Orleans en n’omettant pas un petit passage à St. Mary's Assumption Church tant l’ambiance reste crépusculaire.

Plusieurs compositions parfois coécrites avec George Porter viennent agrémenter l’opus : Snooks nous prouve qu’il est habile et capable de s’imprégner de plusieurs influences comme en atteste "Show Me The Way Back Home" qui tient autant de la Soul Nola que du Texas Blues de W.C. Clark.
Le délicat "Answer Now", un quasi instrumental, oscille entre Soul et Blues NOLA. Le phrasé de guitare s'y montre aérien, superbement secondé en seconde partie par l’Hammond de Sammy Berfect.
Avec "You And Me", le guitariste nous invite à une combinaison de Blues Jazzy, toujours sous le soleil de la Crescent City.
Retour plein pot vers la Soul avec "Talk To Me", titre qui pourrait s’inscrire dans un disque de Ray Charles et que certains trouveront peut-être trop sucré.
Entre la musique du Diable et les louanges au Seigneur, la frontière est souvent ténue. C’est ainsi que Snooks Eaglin, en bon chrétien, achève son recueil avec "God Will Take Care", un vieil hymne religieux composé au début du siècle dernier par le couple Civilla et Walter Martin. Ce titre sera repris au fil des années par Clara Ward, Ella FITZGERALD, Aretha FRANKLIN, sans oublier un essai de Pat BOONE qui donne envie de jeter platine et disque par la fenêtre.

Touche à tout aussi à l’aise dans le Blues que dans une Soul tendance New Orleans, Snooks Eaglin démontre qu’il est un pur produit de la Crescent City. A l’image de la ville, le guitariste a absorbé tout un tas de cultures et d’influences cosmopolites. Alors, la grande question est de savoir dans quel tiroir ranger ce guitariste non-voyant, celui du Blues ou celui de la Soul. Comme l’annonce l’adage : peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Ce disque, par la richesse de l’accompagnement, mérite un bon petit 4.


≠Titre homonyme à ceux de Wayne KING, Cole PORTER, Chris REA ou Tori AMOS.
*Rien à voir avec son presque homonyme The Flamingos, ensemble de Chicago dirigé par les Frères Carey.

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- Snooks Eaglin (chant, guitare)
- George Porter Jr (basse, chant 7)
- Herman 'roscoe' Ernest Iii (batterie, percussions)
- Sammy Berfect (orgue, piano)
- David Torkanowsky (piano 3-7-9-11)
- Fred Kemp (saxophone 11-13)
- Ward Smith (saxophone 11-13)
- Steve Howard (trompette 11-13)
- Rick Trolsen (trombone 11-13)


1. Josephine
2. Show Me The Way Back Home
3. Ling Ting Tong
4. Aw' Some Funk
5. I'm Not Ashamed
6. Nine Pound Steel
7. Answer Now
8. Skinny Minnie
9. Thrill On The Hill
10. You And Me
11. I Went To The Mardi Gras
12. Talk To Me
13. Mama And Papa
14. God Will Take Care



             



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