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BLAKE ET MORTIMER - Bande Originale De La Série Animée (1997)
Par MARCO STIVELL le 23 Janvier 2022          Consultée 726 fois

Blake et Mortimer, pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore, c'est Tintin mais en dix fois mieux. Exagération ? Hérésie ? D'abord, c'est un adorateur de Tintin qui le dit - si vous ne me croyez pas, il y a une chronique musicale dédiée aux aventures du reporter à houpette, plus loin en ces pages. Hergé avait beau avoir un sacré talent, son oeuvre à forte identité, son succès incomparable encore aujourd'hui (sauf si on s'appelle Astérix, Lucky Luke ou Snoopy et si on ne parle pas de 'l'autre' bande dessinée appelée manga), il en arrivait presque à 'jalouser', pour lui avoir mis des bâtons dans les roues, son ami et collègue Jacobs. Edgar P. Jacobs, le créateur des deux autres compagnons humains inséparables de l'école franco-belge, le blond moustachu capitaine Blake, chef du MI5 (service de contre-espionnage anglais) et du barbu roux écossais professeur Philip Mortimer, chercheur de génie, archéologue et enquêteur à ses heures perdues...

Jacobs, né en 1904 et lui aussi Bruxellois, qui tente d'abord de percer comme... chanteur d'opéra ! Ensuite, pendant la Seconde Guerre Mondiale, après une période d'illustration pour magazines, il publie sa première vraie bande dessinée en un seul tome, science-fiction apocalyptique appelée le Rayon U, et qui obtient un franc-succès. Il rentre aux bureaux du Journal de Tintin grâce à son ami d'enfance Jacques Van Melkebeke, lui aussi ancienne voix lyrique - et futur portrait-modèle pour Mortimer ! Avec Hergé, dont il est très proche, il travaille sur les refontes des premières BDs de Tintin (une momie à son nom apparaît sur la nouvelle couverture des Cigares du Pharaon), ainsi que sur les nouvelles qu'il a inspirées, en particulier le diptyque Les Sept Boules de Cristal/Le Temple du Soleil (1944-46), apportant une magie fantastique plus prononcée aux aventures. Alors qu'il débute la série Blake et Mortimer de son côté, Jacobs cesse sa collaboration directe avec Hergé.

Le Secret de l'Espadon (1946 à 49) donne jour aux deux héros britanniques, amis et coéquipiers vivant et oeuvrant ensemble mais célibataires par respect de la censure 'jeunesse' et aussi pour les besoins des aventures, ce qui comme pour Tintin laissera bien peu de place à des personnages féminins forts jusqu'à la mort de Jacobs en 1987. On rencontre en revanche et d'emblée le colonel Olrik, représentation graphique de Jacobs par lui-même, ennemi juré de Blake et Mortimer, homme d'intrigues qui vend ses services au plus offrant mais qui a la trahison et l'appétit du pouvoir dans le sang. Inspiré fraîchement par la dernière guerre et Hiroshima, l'histoire se développe sur toile de Troisième Guerre Mondiale avec des antagonistes asiatiques (Basam-Damdu et son Empire Jaune), en incluant de l'exploration, de la stratégie militaire, de la science-fiction à la Rayon U...

La deuxième aventure, Le Mystère de la Grande Pyramide (1952), prend une tournure égypto-archéologique, non seulement réussite scénaristique mais régal visuel. Ensuite, dans La Marque Jaune (1954), c'est un mélange génial mi-SF, mi-policier londonien façon Conan Doyle modernisé... Si j'ai du mal avec la plus poétique Enigme de l'Atlantide (1956, pourtant le favori de plusieurs de mes collègues FP !), je reste adorateur de la trilogie française, notamment son premier volet S.O.S. Météores (1959), avec la campagne sud de Versailles pour cadre et l'un des scénarios les plus intelligents de l'Histoire avec son malentendu très textuel ('trou salé ?!') qui retarde le dénouement en beauté. Blake et Mortimer contre Olrik et consorts : un savoureux cocktail riche aux recettes uniques, dont un texte narratif copieux et souvent reproché à l'auteur, un méchant immortel, de l'élégance humaniste, de l'humour british, un professeur Mortimer souvent en avant dans les intrigues et rejoint par Blake en renfort... Tout se poursuit jusqu'à la mort de maître Jacobs qui a trop reporté sa dernière histoire, Les Trois Formules du Professeur Sato.

D'autres auteurs, pratiquement toujours par deux, ont eu ensuite la possibilité officielle (contrairement à Tintin, sur décision d'Hergé) de reprendre la série de façon régulière, aujourd'hui encore, la rendant même plus populaire qu'au vivant de Jacobs. Les clins d'oeil au passé sont légion, mais peu de volumes, dont L'Affaire Francis Blake (première des continuations en 1996, ma BD favorite avec S.O.S. Météores) se hissent au niveau des aventures classiques de feu l'auteur solitaire. Mention spéciale, côté positif, au scénariste Jean Van Hamme (créateur de Thorgal, XIII, Largo Winch, Les Maîtres de l'Orge, Wayne Shelton, Lady S, excusez du peu), maladroitement remplacé depuis les années 2010 par Jean Dufaux, pourtant génial ailleurs lui aussi.

Côté négatif, il y a Le Sanctuaire du Gondwana (2008), vaste escroquerie, ou, hors de la série officielle, Le Dernier Pharaon (2020) de François Schuiten qui prouve qu'originalité ou hommage sincère ne riment pas toujours avec qualité. Tout de même, foi de libraire, ardent défenseur de la ligne claire en BD - et qui se sent bien seul, de même avec les classiques de la littérature française -, pour qui les mots 'manga', 'comics' et surtout 'roman graphique' demeureront secondaires, par goût comme par principe, cela fait toujours plaisir de voir un nouveau Blake et Mortimer se vendre comme des petits pains, pas comme Astérix mais presque !

À l'instar du reporter et du capitaine bourru, du lonesome cowboy ou du groom et de son écureuil, les deux héros britanniques ont aussi eu droit à leur série d'animation. Un an après le relancement de l'oeuvre BD en 1996, on peut dire que cela tombait à pic ! La firme Ellipse, comme pour Tintin (et ensuite Les Malheurs de Sophie, Bob Morane etc), en est à l'origine ; une collaboration avec les studios Cactus Animation, le tout distribué par la branche cinéma Dargaud (sur les chaînes Canal+, FR3 puis M6) qui avait sorti plein de films pour Astérix et Lucky Luke, lors de la décennie précédente. La grande famille franco-belge est si petite !

Sur des formats de quarante minutes, les huit aventures écrites par Jacobs sont naturellement adaptées ainsi que L'Affaire Francis Blake, et quatre autres épisodes originaux (ces derniers sont absents du DVD). Série courte donc, mais pas beaucoup plus que Tintin. Et série de qualité, malgré quelques parti-pris très étonnants, voire déconcertants. Les 'Jaunes', Tibétains méchants du Secret de l'Espadon, à la solde d'Olrik dans le dessin animé plutôt qu'au service d'un empereur sans nom que l'on croise une fois dans l'ombre, sont tous des Européens ; nous étions pourtant plus de vingt ans avant les débuts de la cancel culture, et si ça peut vous rassurer messieurs dames, la lecture de la BD originale, tout comme celle de Tintin au Congo, ne nous ont pas rendus racistes, ni moi ni les nombreux enfants et adultes (du moins j'espère) à qui je la recommande régulièrement !

D'autres remaniements mais plus guère 'politiques' cette fois, ont lieu ; l'Enigme de l'Atlantide, notamment, en fait les frais et n'a presque rien de commun avec la BD mis à part les Açores, les personnages de la civilisation perdue, une part de l'intrigue et le final. Les concepteurs ont veillé à donner plus d'importance à Blake, parfois autant qu'à Mortimer (pour Le Piège Diabolique, deuxième volet de la trilogie française, en particulier). Autre modification bienvenue, une poignée de personnages féminins forts apparaît, faisant parfois rougir et tourner la tête de nos héros ! De fait, certaines aventures valent bien leurs originales, comme L'Affaire du Collier, troisième volet de la trilogie. Dernier détail, un superbe doublage par Robert Guilmard (Blake), Michel Papineschi (Mortimer, la VF de Robin Williams) et, surtout, Mario Santini pour Olrik (1), aussi génial que pour l'acteur Dustin Hoffman et le terrible pirate LeChuck de la saga jeux vidéos Monkey Island !

Hélas, car il y a un hic, dans cette très bonne série, la musique n'est pas un élément-clé (dans cette chronique non plus, je le reconnais !). Si en BD, Blake et Mortimer surpassent allègrement les déjà grandioses Aventures de Tintin à mon sens, en animation cela se vaut à peu près, mais côté bande originale, ce n'est clairement pas le même niveau. Tintin, série dont le succès s'est vite accordé à la qualité globale de son univers, possède un générique indémodable, parfait en tout points, indéfectible de la série, suivi une partition diversifiée qui habille chaque épisode avec autant d'habileté, d'intelligence, d'efficacité... Un chef d'oeuvre musical, à part entière !

Pour Blake et Mortimer, c'est plus compliqué, le succès véritable de la BD ayant été très tardif, et même si l'adaptation animée a été faite par des passionnés, pour des passionnés ou sympathisants comme moi qui, à l'époque, n'en connaissaient pas une traître bulle. Les compositeurs de la bande originale se nomment Jean-Claude Deblais (ancien guitariste accompagnateur de Pascal DANEL, des chanteuses Valérie AMBROISE et Olga FOREST) et Loran Romain, jeune auteur plutôt spécialisé dans un domaine zouk ou reggae (ALPHA BLONDY). Etrange assemblement, mais qui a quand même de bonnes idées. Trop peu, hélas !

Si la partition de Blake et Mortimer est décevante, ce n'est pas tant à cause des compositeurs que parce que les concepteurs ont préféré économiser sur la musique. Et c'est d'autant plus râlant que le générique est, lui aussi, brillant et mémorable ! Faisant se succéder divers éléments des aventures, Olrik, voyage en train, pyramides, Espadons, onde Méga de La Marque Jaune (le dernier plan reprenant d'ailleurs la couverture de la BD), cette petite minute précieuse est à considérer comme il se doit. Efficace, avec ses cordes martiales et son ambiance inspirée des films noirs, sa ritournelle haletante au clavecin. Intelligente, avec ce pont incroyable, rythmé par une minuterie de bombe, où le clavecin brode sur une harmonie étrange (ah, cette fameuse note diabolique de quarte augmentée !). Tout, y compris les instruments à vent, est joué au synthétiseur.

En termes d'écriture, c'est une réussite, mais encore une fois malheureusement, c'est très concentré sur ce moment emblématique. Les quarante-cinq minutes dédiées à chaque aventure (découpées en deux épisodes) laissent la place aux dialogues sans rien pour orner souvent. Un peu d'action et des courses-poursuites par-ci par-là, qui reprennent d'ailleurs l'idée d'un thème 'film noir' jazzy plus improvisé qu'autre chose, avec du piano, des bongos, un faux saxo rageur ou de la clarinette basse, du vibraphone. Entre ça et un énième détournement du "Vol du Bourdon" de RIMSKY-KORSAKOV par les cordes classiques groupées, ce sont les rares thèmes récurrents d'une bande originale maigre et frustrante, loin de la diversité, de l'identité de Tintin.

Au début du Mystère de la Grande Pyramide et des Trois Formules du Professeur Sato, le déroulement dans un pays 'exotique', respectivement l'Egypte et le Japon, amène un peu de changement, dans les sons et dans le choix de mélodies, mais cela reste mesuré et, sauf pour la Grande Pyramide, sans dépasser les scènes introductives. Pour Le Secret de l'Espadon, un boléro glorieux accompagne les premiers essais des engins supersoniques créés par le cerveau Mortimer, si décisifs pour le tournant de l'histoire et la survie du monde libre (mais qui, dans la BD, n'apparaissent qu'à la fin, tout le contraire d'ici !).

D'autres marches militaires se retrouvent ailleurs comme dans La Marque Jaune (superbement adapté), et comme c'est l'aventure la plus british de Jacobs, on a une brève citation de "God Save the Queen" à la fin, indeed! En revanche, pour L'Affaire Francis Blake, qui tient une bonne part entre le Yorkshire et les Highlands en Ecosse, point de cornemuse mais du sax soprano et un peu de shuffle jazz. Pas très typique, pas comme Tintin ! Le générique lui-même n'est que peu cité, à de rares moments.

Peu voire pas de thèmes émouvants, comme le piano sensible à la fin de l'Atlantide, de surprises comme les cordes aiguës et la trompette bouchée des catacombes de Paris à la recherche du collier de la reine Marie-Antoinette. Cette économie nuit à la série, autant qu'elle nous fait sans mal reconnaître qu'il y avait du potentiel.

La partition la plus originale et l'une des meilleures reste celle de l'étonnant Piège Diabolique et sa machination du professeur Miloch (allié d'Olrik, absent pour une fois !) déguisée en voyage 'forcé' dans le temps (Préhistoire, Moyen-Âge, futur lointain), avec des contrastes forts sur une bonne partie. Cordes traînantes pour arrivée de Mortimer à la Roche-Guyon et son cadre fantomatique, vibraphone et flûte alto dans la Bove de la Demoiselle, percussions 'jungle' accompagnant le Chronoscaphe, orgue et choeur féminin pour la Jacquerie, sons ambient pour l'arrivée à l'an 5060...

Du peu mais du bon donc. On aurait espéré mieux, mais en notes comme en images animées, justice est bien rendue à la saga essentielle d'Edgar Pierre Jacobs, le rêveur d'apocalypses (pour rappeler qu'une bande dessinée du même nom et passionnante vient d'être éditée), une des meilleures qui soient en BD !

(1) Une des meilleures répliques et parmi les plus drôles de méchants en animation, se trouve dans Les Trois Formules du Professeur Sato, quand Olrik lance à Sharkey, son lieutenant fidèle à gros muscles mais sans trop de cervelle : "Si tu as fait preuve d'initiative, je te lobotomise !"

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   MARCO STIVELL

 
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- Jean-claude Deblais, Loran Romain (compositions, orchestratio)


1. Le Secret De L'espadon
2. Le Mystère De La Grande Pyramide
3. La Marque Jaune
4. L'enigme De L'atlantide
5. S.o.s. Météores
6. Le Piège Diabolique
7. L'affaire Du Collier
8. Les Trois Formules Du Professeur Sato
9. L'affaire Francis Blake



             



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