Phillip WALKER n’est pas totalement inconnu de notre site, le guitariste figurant sur les albums de son ami Lonesome SUNDOWN LA. To LA et Been Gone Too Long.

Originaire de Welsh, ville natale de Canrey FONTENOT, Phillip voit le jour en 1937. Septième bambin d’une famille de douze enfants, Phillip suit sa famille partie tenter sa chance au Texas à Port Arthur, grosse bourgade connue pour son port et ses ouragans. Il se met très tôt à la guitare, rencontre Lonesome SUNDOWN avec lequel il fait ses gammes dans l’orchestre de Clifton CHENIER. Il enregistre dès 1955 pour le Roi du Zydeco une dizaine de faces, enchaîne l’année suivante auprès de Rosco Gordon. Etabli à El Paso, il fait équipe avec Long John Hunter avant de gagner, comme beaucoup d’autres musiciens, la Californie dès la fin des fifties. En 1959, il met en boîte ses premiers singles sous son nom pour le label Elko. En 1963, en compagnie de sa femme Ina Beatrice Gilkey, connue sous le nom de Bea Bopp, il grave une poignée de singles pour AMC Records et Gilkey Records, le micro label de son épouse.

Guitariste brillant capable de s’adapter à différents styles, Phillip devient un guitariste de session demandé. On le retrouve sur scène aux côtés de Driftin’ Slim, Johnny Fuller, en studio avec George 'Harmonica' Smith. A la fin des sixties, il grave un single pour le label Vault en compagnie des Tracers. Si le 45-tours passe inaperçu, cela ne l’empêche pas de récidiver en compagnie du producteur Bruce Bromberg pour Joliet, firme pour laquelle il enregistre une poignée de microsillons. Il lui faut attendre 1973 pour connaître enfin une reconnaissance internationale avec "The Bottom Of The Top" publié par le label Playboy (de la revue du même nom).
Au milieu des années 70, Phillip joue les accompagnateurs de luxe auprès de Prince DIXON, participe aux sublimissimes Been Gone Too Long et From L.A. To LA en compagnie de Lonesome SUNDOWN, album suivi d’un Live avec George 'Harmonica' Smith capté au Pit Inn, au Pays du Soleil Levant. En 1977, Walker enregistre sa seconde galette sous son nom, "Someday You’ll Have These Blues" publiée par Joliet. Au début des eighties, on le retrouve avec Dennis Walker aux cotés de Percy Mayfield.

Phillip Walker guitariste attachant connaît une discographie plus conséquente au cours des années 90, enregistrant notamment pour Black Top, Rounder et le label français Black & Blue. Juste avant l’arrivée du nouveau millénaire, le guitariste est l’une des trois têtes de gondoles de Lone Star Shootout en compagnie de ses amis Lonnie BROOKS et Long John Hunter, album qualifié par de nombreux spécialistes comme disque de Blues de l’année 99. Contre toute attente, il nous quitte en 2010, victime d’une crise cardiaque foudroyante.

Il faut attendre 1984 pour que Walker mette en boîte sous sonnom son troisième album Tough As I Want To Be. A l’instar du titre, il a fallu de la persévérance pour que le disque apparaisse dans les bacs des disquaires en 1984. Produit par Bruce Bromberg et le bassiste Dennis Walker (aucun lien familial avec Phillip), ce disque provient d’une première session captée au Music Lab Studio de Los Angeles en mai 1981 (pistes 3 -6 –9) et de deux autres séances datant probablement d’avril 82. Publié aux Etats-Unis par le label indépendant Rounder Records, le disque bénéficie la même année d’une réédition française par le biais du label français Black & Blue, initiative plus qu’excellente, alors que le monde de l’industrie phonographique lance en grande pompe un nouveau format, celui du CD.

On a droit ici à une pochette identique à celle du visuel américain prise par Scott Billington, patron de Rounder. Si, sous son complet d’été, la chemise à motifs fleuris évoque la Californie, le répertoire nous propose une belle invitation au voyage à travers différents domaines stylistiques ayant jalonné le parcours du guitariste : la Louisiane où il est né, le Texas où il a grandi et enfin la Côte Ouest.
Dès la première écoute, on est frappé par la cohésion de l’ensemble. WALKER est épaulé par une équipe particulièrement rodée et fidèle, notamment une section rythmique impeccable formée du batteur Johnny Tucker, complice depuis près de vingt ans, et du bassiste producteur Dennis Walker qui se fera bientôt connaître au côté de Robert CRAY.

Si le disque ne révèle que deux compositions écrites conjointement avec David Amy (alias Bruce Bromberg) et une autre avec l’aide d’Ina Bea, Dennis Walker apporte son grain de sel avec deux chansons, tandis qu’on revisite à trois reprises Lowell Fulson avec lequel Phillip se produira en mars 84 (on vous en reparlera lors d’un prochain épisode).

D’entrée de jeu, "What Can I Do", une compo de Fulson, sert de feuille de route. Si Lowell Fulson fut longtemps influencé par le jeu des grands maîtres de la guitare texane (Lonnie Johnson, Blind Lemon Jefferson), le guitariste est devenu l’un des instigateurs du Blues californien, au même titre que T-Bone Walker ou le pianiste Charles Brown. Le phrasé aérien va ici à l’essentiel, pas besoin d’une cascade de notes pour impressionner le quidam tandis que la voix souple se fait tour à tour traînante ou véhémente. Même impression avec "Go Ahead And Take Her", future reprise d’Albert KING. "I’m Tough (Tough As I Want To Be", second emprunt à Fulson, nous renvoie par le chant à un univers cher à Lonesome Sundown et au Swamp tandis que les touches de piano de Nat Dove nous expédient de l’autre côté de la frontière, au Texas. Dernière pioche dans le répertoire de Lowell Fulson avec "The Blues And My Guitar", un long blues lent de près de six minutes qui place au premier plan la guitare, instrument de prédilection du registre Blues. La voix est toujours aussi chatoyante, la rythmique avec une basse hyper ronde endosse un job de gardienne du temple tandis que la guitare aérienne est un modèle du genre. La parfaite synthèse en guise de fermeture entre Texas et California Blues.
Autre clin-d’œil, cette fois-ci à Percy Mayfield avec "A Lyin’ Woman", titre figurant dans Sings Percy Mayfield. Si les deux Walker (Phillip et Dennis) ont épaulé Mayfield en novembre 82 sur l’album Hit The Road Again, c’est un peu une histoire avec de nombreux parallèles à laquelle on est conviés, Percy et Phillip ayant connu un itinéraire similaire : tous deux sont originaires de Louisiane, ont vécu au Texas avant de s’établir sous le soleil californien. Ici, la trompette de Steve Smith et le sax de David Li contribuent à épicer l’ensemble tandis que la guitare se fait toujours aussi flamboyante. Les deux compos offrent différents cachets : "Wondering" chanté avec le concours de Margie Evans, ancienne chanteuse de Johnny Otis, se situe entre Soul Blues et Slow Blues, alors que "Port Arthur Blues" représente la synthèse du Blues Texan. Terminons par "Think" *, hit mineur de Jimmy McCracklin dont le phrasé rappelle celui de l’élégant Clarence Hollimon.

Ce troisième jet du Louisianais respire l’élégance. Adepte d’un jeu de guitare aérien, allant à l’essentiel, Phillip WALKER secondé par une rythmique aussi groovy que métronome propose ici un album qui refuse de s’enfermer dans les carcans du Blues eighties et qui représente parfaitement l’éclectisme d’un guitariste devenu l’une des meilleures attractions des festivals consacrés au Blues.


*Titre homonyme à ceux d’Aretha Franklin, The 5 Royales, Curtis Mayfield, The Rolling Stones.