En 1990, la sémillante Pauline ESTER nous répétait déjà à l'envi que "le monde était fou". En se penchant sur le cas des Américains d'OZEAN, cette constatation semble être trente ans plus tard plus que pertinente. Leur trajectoire est en effet des plus surprenantes, voire surréalistes. Ce quatuor formé en 1991 n'a pour toute discographie que trois titres. Trois titres ? Si si, vous avez bien lu et encore, ce ne sont que des démos. Alors pourquoi diable les évoquer ?

Tout simplement car en plus de l'évidente qualité musicale, cette parution démontre encore une fois toute la puissance d'Internet. Mais cette fois-ci, ici, elle fait volontiers dans le positif ! OZEAN est apparu sur la toile courant 2016 et dans la communauté des fans de dream pop, ce nom a rapidement suscité l'engouement. Le phénomène gonflant, Lisa BAER, l'angélique chanteuse, et Eric SHEA, le guitariste, ont dû malgré eux sortir de leur anonymat. Totalement surpris et c'est bien naturel par la fulgurance de cette déclaration d'amour, ils ont décidé de remastériser les morceaux pour les sortir officiellement en numérique et vinyle.

Le plus sceptiques crieront à l'opération mercantile, à l'opportunisme le plus crasse. Oh la doucement ! Minute papillon ! Vous avez vu sur quelle échelle tout ceci se joue ? 150 galettes ! Pour le pactole en dollars, OZEAN repassera sans doute mais pour les émotions, le groupe a bien eu raison d'effectuer ce choix. La rareté ne fait pas nécessairement l'attrait ou l'excellence mais ce petit quart d'heure apaisant justifie à lui seul une pause, encore plus en ces temps agités et terriblement anxiogènes.

Si vous espérez être secoué par de fiévreuses décharges électriques façon MY BLOODY VALENTINE, mauvaise pioche. Ces démos ne vous apporteront rien si ce n'est un agréable petit dodo avec MORPHEE. OZEAN, c'est l'autre visage du shoegaze. Les Américains nous exposent ainsi un univers nostalgique empreint d'une très grande douceur. Vous pensez instantanément à Just For A Day de SLOWDIVE ? Vous n'avez pas totalement tort tant l'ombre des Anglais plane au-dessus des notes des Californiens.

Dès «Fall», l'auditeur est littéralement happé par la voix suave de Lisa. Il se retrouve alors dans un monde aux contours évanescents d'où seule semble surnager de ce brouillard une basse ronde que ne renierait pas COCTEAU TWINS. En apesanteur comme dirait CALO. C'est bien cette sensation qui nous enveloppe subtilement lorsque débute les premiers instants de «Porcelain». Le quatuor instille à ces climats vaporeux une intensité mélodique évidente. Les couches de guitare s'empilent et les réverbérations gonflées à bloc occupent l'espace. Et pourtant, ici, on respire encore et même avec plaisir. Le superbe «Scenic» triture quant à lui un peu plus nos petits cœurs. Une guitare triste et lancinante répond au souffle émouvant de BAER. Tout n'est qu'écho fantomatique et rêve éveillé, encore une fois.

Que penser en définitive de tout ceci ? Pour ma part, je n'y vois pas de gâchis et ne ressens pas non plus de frustration. C'était la destinée d'OZEAN. Ces morceaux sont une parfaite invitation pour couper les ponts momentanément avec la réalité. Le retour sera encore plus dur, c'est certain, mais tant pis, la tentation est trop forte.