Pour Bruno KARNEL, artiste établi aux collaborations multiples, l'album Las Ilusiones est l'aboutissement d'un projet mis au ralenti, quand tout allait bien jusqu'en cette fin d'année 2019 ; on peut aisément deviner par quoi, au long de ce qui a suivi !

Réunissant divers musiciens et producteurs amis, du groupe funk-rock LYTALK comme de son propre trio EVAPORATION DES VOIX OFF, le magicien multi-instrumentiste KARNEL propose un album qui pourrait passer pour concept tant la densité y est grande, prenante, avec ce qu'il convient d'éléments spirituels voire ésotériques de la part d'un ménestrel aussi riche en influences.

Comme souvent, ainsi que témoignent ses précédentes productions, il 'hésite' entre deux beaux tableaux en musique. D'une part : rock à la fois space et sombre (lorgnant vers le doom-metal) à la ANATHEMA, généreusement représenté par des guitares mordantes ainsi que des nappes de synthétiseurs. D'autre part : influences traditionnelles de préférence américaines, apportées du sud du Rio Grande et du long de la cordillère des Andes.

Avec Sonia du trio rock EVAPORATION DES VOIX OFF pour l'assister aux choeurs, Bruno KARNEL nous fait passer d'un "Rebooting Clouds" (qui sous de grands airs de poésie mystique et délicatement interprétée, tourne à l'ironie les achats massifs de fin d'année) à un "Fernweh", rock et incisif, entraînant et frais, ponctué de mandoline. Les cousins internationaux de cette dernière, charango, saz etc, font aussi partie de l'instrumentation de l'album.

L'artiste se laisse porter au gré de son inspiration, de l'humeur comme géographiquement parlant. La Bosnie-Herzégovine au milieu des années 90, de bien triste mémoire, est évoquée dès les premiers mots sur "Osijek", tout en révélant un habit très 'rassurant' de pop californienne apaisée. "Matamore" réitère joliment l'effort plus loin, à sa manière et dans la critique de l'éloignement humain causé par l'informatique.

Les contrastes sont un maître mot : "Vlak I", avec ses nappes orchestrales en intro, cache plutôt bien son jeu de ballade au ton 70's, basse en avant. C'est Antonin Smirr (LYTALK) qui tient le même instrument sur le groovy "Medialuna" tandis que le folk en rythme soutenu imprègne à merveille "Victor victorieux", hommage à la grande figure chilienne Victor JARA.

La chaleur et l'esprit tribal s'insèrent à merveille pour habiller les paroles en nahuált (époque aztèque) dans le "Chant de Nezahualcóyotl", dirigeant acolhua et poète du XVème siècle. Très contemplatif avec voix en aspirations ; le parallèle musical avec les productions du groupe irlandais CLANNAD n'en est pas moins saisissant !

Quant à "Nuevo Eden", où se dépeint le quotidien d'un village d'Amazonie avec une sensibilité écologique encore plus présente qu'ailleurs, c'est le morceau de choix de Las Ilusiones, celui qui nous convie à une intro très sombre/doom avec basses en arpèges folk nébuleux. Les guitares désaccordées et saturées débarquent mais aussi l'acoustique, pour une complainte obscure suivie d'une partie plus électronique et à la fin une véritable marche rock. Sept minutes trente de diamant noir ! Dans les bonus de l'album et pour garder un peu le même style, Bruno KARNEL emprunte à la chanteuse mexicaine Lila DOWNS son "Icnocuicatl", à écouter !

Si la réalisation 'maison' garde un goût de confinement et manque parfois de relief, cela n'enlève rien à l'ambiance globale, celle d'un grand voyage à la fois terrien et cosmique, universel mais également très personnel par un musicien bien entouré. Une fort belle curiosité de la chanson française underground, ouverte sur un monde lointain, emplie de mélodies et d'humeurs convaincantes.