SUROÎT peut sortir de très bons, d'excellents albums. Néanmoins, il devient difficile de penser que les Madelinots seraient à même de réitérer l'exploit de Prends le Temps (2002), tant le souvenir de cette oeuvre profondément belle et dense musicalement reste ancré dans nos esprits. Pourtant, il y arrivent, douze années plus tard, cinq après Mi-Carême, en 2014 avec Bercer L'Amer.

Ce disque a de quoi tout de suite plaire grâce à une pochette faite d'imagerie séduisante, d'un bleu marin qui lie l'appel du large et celui des légendes. Même la photo du groupe en train de jouer devant la maison dégage cela. Bercer L'Amer est, effectivement, l'un des meilleurs albums de SUROÎT, avec le précité Prends le Temps, et il le doit autant à ses compositions qu'à son climat, plus sérieux et "hanté" qu'à l'accoutumée.

Bien entendu, la plupart des paroles sont consacrées à la mer, aux hommes qui la prennent et se font souvent prendre, de manière funeste ou alors plus douce, par passion. Ainsi, SUROÏT nous dépeint des portraits de mousses, de navigateurs, à la fois sur un pas de valse, avec des voix fortes, et au cours des envolées de violon, d'accordéon, le temps d'un instrumental.

D'un point de vue musical, c'est du solide. Réal Longuépée est de retour, bien en avant dans le son du groupe. C'est la basse, conjointement avec le bouzouki d'Henri-Paul Bénard, qui conduit "Le chant du large", au rythme chaloupé. Les paroles y sont simples mais belles ; SUROÎT n'a pas son pareil pour chanter ainsi, en donnant du corps à cette forme d'humilité textuelle, par la seule multiplication des voix.

La "Marée noire", cette douleur à guérir pour tout amoureux de la mer, propose une mélodie typiquement folk, très belle. La chanson-titre, sur le même fond de blues psychologique, "Bercer l'amer", véritable invitation à prendre le large, est superbement dévelopée. Aux côtés de la basse lourde de Longuépée, André Cummings joue du rimshot (coups de baguettes sur les bords métalliques des fûts de la batterie), encore une de ses nombreuses idées qui marquent profondément le disque, preuves supplémentaires de son talent.

Il faut aussi écouter sa variation en calypso, pendant le solo d'un Félix Leblanc tout aussi inspiré au violon, sur la reprise de "Santiano", qui renoue d'abord avec l'esprit lent de la chanson traditionnelle d'origine, utilisée pour se donner du courage en mer, avant d'accélérer. Avec le même entrain, on se délecte d'un "Pêcheurs de tradition", le morceau le plus acadien/cajun, hommage à Bertrand Déraspe, membre fondateur de SUROÎT qui l'a écrit (d'autres Déraspe participent à l'enregistrement).

Autres gemmes et trésors, "La Marie-Carole", ballade au texte déchirant, la jig de "Pour qui la mer n'a d'importance", le deuxième instrumental "Embardée" ainsi que la chanson à boire "Debout les hommes" complètent un programme de choix. Des frissons naissent lors des introductions de "La belle Hélène" et "Dans les nuits d'hiver", tant l'atmosphère dense nous gagne, à renfort de roulements percussifs, de guitares énergiques, d'essence médiévale ou celtique pour des morceaux inspirés... Ce disque est vraiment une belle ouvrage, SUROÎT dans ce qu'il peut offrir de mieux !