Le guitariste Barry Bailey, l’un des derniers membres d’origine d’ATLANTA RHYTHM SECTION, vient d’être emporté vers d’autres cieux, des suites d’une sclérose en plaques. Hormis quelques sites dédiés à la Country ou aux informations géorgiennes, ce décès n’aura guère suscité l’intérêt de la presse musicale hexagonale.

Le groupe prend forme au printemps 1970 avec trois anciens membres des Candymen (Dean Daughtry, Robert Nix et le chanteur Rodney Justo) rejoints par deux membres des Classics IV. Buddy Buie, propriétaire du studio One basé à Doraville, bourgade à une vingtaine de bornes au Nord Est d’Atlanta, engage le groupe qui devient la formation attitrée du studio. En novembre 71, le sextet enregistre pour Decca un album éponyme qui ne connait aucun succès, faute de promotion. Decca décide de placer le groupe sur une voie de garage en enregistrant des génériques de dessins animés, un projet auquel Rodney Justo ne souscrit pas, le chanteur prenant alors ses cliques et ses claques, remplacé par Ronnie Hammond, un chanteur originaire de Macon qui fait également office d’assistant ingé-son.
Malgré l’échec du premier disque, Buddy Buie reste persuadé du talent de ses poulains et les renvoie dans son studio en décembre 72. Le sextet s’est bien rodé sur scène et en session et a pas mal composé dans une orientation plus Rock. Le guitariste J.R. Cobb demeure le principal pourvoyeur avec quatre chansons, mais la quasi-totalité des membres a composé ou coécrit plusieurs pistes.

En guise d’amuse-bouche "Wrong" fait penser à certains passages du futur "Pronounced 'Lĕh-'nérd 'Skin-'nérd" de LYNYRD SKYNYRD, l’un des catalyseurs du Southern Rock. Changement de cap avec "Will I Live On ?", une balade entre Alabama Sound et California Soul dans laquelle le piano de Dean Daughtry se rapproche du jeu de Billy JOEL. "What You Gonna Do About It ?" diffuse une mélodie agréable, un honnête Southern Rock médium dans lequel les divers instruments offrent de belles nuances sans poudre aux yeux. Si "Conversation" débute sous couvert d’une guitare acoustique, le titre révèle une belle coloration entre Folk et une balade sudiste dans la lignée de MARSHALL TUCKER BAND ou du Rossington Collins Band. "Make Me Believe It" s’oriente vers une balade Pop marquant une rupture avec le ton général par le biais des synthés d’Al Kooper, venu prêter main forte. A l’écoute de "Back Up Against The Wall", on comprend mieux pourquoi la chanson donne son titre à l’album. Si Ronnie Hammond se montre excellent au chant, Barry Bailey et J.R. Cobb montent le tempo d’un cran. Un Country Rock qui pourrait s’inscrire dans un album de POINT BLANK ou ALLIGATOR STEW. Titre le plus long du disque, "It Must Be Love" nous distille pendant quatre minutes une ambiance plus ambiguë, Cobb nous dresse ici un tableau marqué par une prédominance de slide dégageant une atmosphère bien sudiste entre LYNYRD SKYNARD et l’ALLMAN BROTHERS BAND. Autre bon passage avec "Cold Turkey, Tenn" un Country Rock qui balance son lot de vitamines et dans lequel l’harmonica de Billy Lee Riley vient ajouter son grain de sel et son groove, tandis qu’Hammond nous conte les charmes de cette bourgade du Tennessee.

Trois reprises viennent compléter l’opus avec une excellente adéquation : "A Livin’ Lovin’ Wreck", une compo du pianiste Otis Blackwell enregistrée par Jerry Lee LEWIS lors de sa période Sun, oscille entre Country Rock et Rock N Roll. On appréciera au passage l’intervention de Billy Lee RILEY (autre artiste Sun) à l’harmonica. Avec "Superman" * on tangue entre une balade à la KANSAS et une douceur Pop à la MARSHALL TUCKER BAND alors que le jeu de piano de Randall Bramblett, créateur du morceau, fait penser aux volutes de Billy JOEL. Après une intro d’harmonica conférant au morceau une ambiance Blues, Ronnie Hammond convertit superbement "Redneck", une chanson caustique et désenchantée de Joe South sur le quotidien de certains jeunes sudistes : "Hé, redneck - Man, ain't you a cool head - Hair slicked down - Little grease on your forehead - Hang around the pool hall - Cheat on exam". Cette version nous parait plus efficace que l’original ou celle de PACIFIC GAS.

Si Atlanta Rhythm Section délivre un album solide, sans esbroufe, au répertoire personnel et cohérent avec des décors passant du Country Rock au Southern Rock et bifurquant par de belles balades afin de ménager les tempos, Decca n’aura jamais véritablement cru dans les possibilités du groupe. La firme ne publiera qu’un seul et unique single avec "Back Up Against The Wall" couplé à "It Must Be Love", un microsillon qui ne bénéficiera d’aucune promotion. Le contrat du groupe avec Decca prendra fin dès la sortie du disque. La pochette avec ce drapeau à connotation Dixie ne rend pas hommage à la galette. Le sextet rebondira ensuite chez Polydor. Certains membres feront parler d’eux plus tard, à l’image de J.R. Cobb, accompagnateur au sein des Highwaymen de Johnny CASH et Kris KRISTOFERSON. Aujourd’hui, si Rodney Justo a rejoint la formation de ses débuts, les autres membres sont tous décédés hormis le pianiste Dean Daughtry qui a pris une retraite bien méritée.

*Titre homonyme à ceux des Kinks, Barbra Streisand et Eminem.