Nous sommes en 1970, Brenda LEE continue son petit bonhomme de chemin en privilégiant néanmoins sa vie de famille. Decca, tombé dans l’escarcelle de la MCA depuis une paye, continue de publier sa chanteuse, la cantonnant dans le domaine de la variété internationale. Durant l’été 1967, la firme a même expédié Brenda à Hollywood pour enregistrer avec le clarinettiste Pete Fountain, figure marquante du Jazz de la Nouvelle Orléans.

Cette nouvelle galette marque une rupture brutale avec ses précédentes productions. Placée depuis des lustres sous la houlette d’Owen Bradley, Brenda quitte ce confortable environnement pour s’exiler à Memphis dans les studios de l’American Sound Studio, là où ELVIS enregistra "Suspicious Mind", son dernier Number One.

Le nom du studio fondé par Don Crews et Chips Moman a de quoi relancer les perspectives et met l’eau à la bouche. Epaulée par les Memphis Boys, l’une des meilleures équipes de session de Memphis, Brenda oriente cette fois-ci son répertoire vers un délicat mélange de Country Soul et de Pop rafraîchissante. L’orchestration presque trop sage et les arrangements de Glen Spreen, qui vient de se faire connaître grâce au retour d’ELVIS et pour diverses collaborations avec Bobby WOMACK, BJ Thomas ou The Box Tops, respirent presque le respect. C’est simple, même Chips Moman semble comme anesthésié par la présence de Brenda. On retrouve pourtant ici une sacrée brochette d’accompagnateurs : le guitariste Reggie Young (ELVIS, Solomon BURKE, Wilson PICKETT), le pianiste Bobby Wood, auteur en 1961 d’un single Sun, accompagnateur pour ELVIS, Dusty SPRINGFIELD et King Curtis, l’organiste Bobby Emmons (ELVIS, Solomon BURKE) le batteur Gene Chrisman (Aretha FRANKLIN, Wilson PICKETT et Oscar Toney), le bassiste Mike Leech (ELVIS, Solomon BURKE, The Box Tops. Bref, que des attitrés de l’American Studio House Band créé par Moman, l’une des meilleures troupes avec celles de la Stax et de Hi Records.

Enregistré en trois sessions les 2, 24 et 25 avril au 827 Thomas Street, antre de l’American Sound Studio, Memphis Portrait évoquerait presqu'une affiliation religieuse entre la chanteuse et les différents belligérants. Cette impression se confirme d’entrée de jeu avec "Give A Hand Take A Hand", un Gospel des BEE GEES qui devait figurer sur "Cucumber Castle", mais qui n’apparaîtra que cinq ans plus tard sur "Mr Natural", galette produite par Arif Mardin, arrangeur de l’écurie Atlantic. Le titre apparaîtra sur un single de P.J. ARNOLD qui ne connaîtra aucun succès. La version de Brenda instaure aussitôt un climat crépusculaire situé à mi-chemin de Joe Tex, des productions du label Sound Stage 7 et de Tracy Nelson. A la suite d’un passage télé de Brenda, les STAPLE SINGERS enregistreront la chanson.
Seconde excellente mise en bouche avec "Leaving On a Jet Plane", compo de John Denver et tube pour le trio PETER, PAUL & MARY. L’orchestration et l’arrangement gomment toute affiliation avec le Folk et la Country au profit d’une coloration Country Soul. On est loin de la formule Country Citizen Band proposée par The Kendalls, un duo père/fille des plus indigestes.
Avec son intro d’orgue d’église, "Too Heavy To Carry" s’annonce carrément comme un titre de Southern Soul avec un nappage d’instruments et de chœurs qui pourraient provenir d’un disque de Doris DUKE, Jean WELLS ou Carla THOMAS. Autre invitation dans le monde de la Soul Sudiste avec "I’m Gonna Keep On Loving You", compo de Paul Davis, songwriter œuvrant dans le giron de Moman. Mais c’est avec "Do Right Woman, Do Right Man", une pépite de Dan Penn et Chips Moman chantée à l’origine par Aretha FRANKLIN que Brenda étonne le plus et nous 'met carrément sur le cul'. Si le titre vient de connaître une seconde vie via le biopic "Respect" consacré à Lady Soul, le timbre et le feeling de Brenda font oublier certaines repreneuses célèbres du morceau (CHER, Dionne Warwick ou Esther Phillips). Les jeunes égéries de la New Country (Martina McBride, Nanette Workman, Rebecca Lynn Howard) ont encore beaucoup à apprendre et peuvent prendre de la graine.

Brenda propose aussi quelques balades pleines de douceurs : "So Close To Heaven", création de Bob Weinstein et Jon Stroll, "I Think I Love You Again" une compo de Toni Wine, l’épouse de Chips Moman et future reprise de Carla THOMAS. "Hello Love", une compo du guitariste Reggie Young, s’annonce plus légère avec sa guitare électro-acoustique et un apport de cordes et de cuivres qui ne s’imposait pas, selon nous.

Au chapitre des reprises, deux titres du regretté Joe South viennent agrémenter la galette : "Walk A Mile In My Shoes" se dévoile comme un mid-tempo, les influences Folk de l’original et l’orientation Gospel bien bouffie d’Elvis s’estompent au profit d’un ton plus véhément. Une version bien plus entraînante que la plupart des reprises et qui écarte avantageusement toute tentative de rapprochement avec la Country Gospel, registre cher à l’Amérique puritaine.
Plus gros succès de Joe South, "Games People Play" * a été mis à toutes les sauces. Si le monde de la Country s’est emparé de la chanson dans des versions souvent discutables dans lesquelles la critique sociale disparaît, noyée par des effets sonores aussi intempestifs qu’indigestes, Brenda nous délivre une excellente version. Le pendant de la version Soul de Bettye LaVette.
Dernière reprise avec "Proud Mary", hit interplanétaire et intemporel de CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL délivré ici avec juste ce qu’il faut de mordant, une relecture captivante même si l’original garde notre préférence. Un titre toujours très tendance figurant dans la bande-son du thriller du même nom avec Taraji Henson et Danny Glover.

Si Brenda LEE se présente encore une fois dans un rôle d’interprète, ne composant que rarement, la moitié des onze pistes provient de nouvelles chansons créées spécialement pour l’album. Si une ou deux chansons ("Hello Love", "I Think I Love You Again") s’avèrent moins accrocheuses, la chanteuse surprend par une orientation Country Soul du meilleur effet. L’orchestration et les arrangements contribuent à la qualité de ce disque, et pour un peu on aurait souhaité que les accompagnateurs envoient un peu plus le pâté sur deux ou trois pistes.

Note réelle 3,5.

*Titre homonyme à ceux des Spinners et d’Alan Parsons.