Révélé en 2020 avec "Can’t Turn Me Around", revoici DEDICADED MEN OF ZION dans le difficile exercice du second album, celui de la confirmation ou du ventre mou. En l’espace de deux ans, le quartet de Caroline du Nord a bien muri et s’est même imposé auprès du label Bible & Tire, devenant ainsi la tête de gondole du label de Bruce Watson.
Enregistré à Memphis, au Delta-Sonic Sound, ce second opus produit par Bruce Watson, également actif au mixage, ajoute quelques sillons supplémentaires à son prédécesseur. Si un journaliste américain, souvent habile à dégainer au premier pet de lapin entendu, déclarait que le quartet ne chante pas pour nous mais pour le Seigneur, nous ne franchirons pas le pas de cette proclamation trop outrancière à notre goût. Mais, après tout, libre à chacun de se faire son opinion.

Une rapide étude de la pochette nous dévoile le quartet en costume trois pièces, posant sur une colline, devant un arbre qui semble gigantesque, une illusion d’optique. Si l’arbuste peut s’apparenter à un olivier, arbre témoin de la prière du Seigneur à la veille de sa Passion, il ne s’agit ici que d’un vulgaire feuillu et la colline en question n’est qu’un lieu privilégié pour rencontrer Dieu, c’est du moins ce qu’on peut retenir des Ecritures.

Malgré cette colline qui tient plus d’une vulgaire butte, le disque part sur les chapeaux de roues avec "Lord Hold My Hand", une reprise dynamique de The Canton Spiritual, un sextet religieux ayant sévi au début des nineties. Avec son intro de basse bien ronde, ses pizzicati de guitares entre Funk et Fuzz, le quartet nous entraîne vers le Seigneur avec une persuasion effrénée : Oh, Lord hold my hand while I run this race - I don't want to run this race in vain, this race in vain - Oh, guide my feet while I run this race. Il est à craindre que certains risquent d'être victimes d’une fausse-route, prenez garde de ne pas avaler l’hostie de travers.
Changement de tempo avec "The Devil Don’t Like It", un titre des Gospel Four publié à l’origine sur le label de Juan Shipp D Vine Spirituals. Là, avec son jeu de guitare pleine de douceur, Matt Ross-Spang, déjà entendu aux cotés d’Elizabeth KING ou de l’Allman Betts Band, nous immerge dans un décor Retro Soul dans la lignée de Nicole WILLIS. "One River To Cross", pioché dans l’obscur répertoire des Brothers Seven, s’annonce plus trépidant. Les harmonies vocales et le fameux jeu de questions/réponses, procédé largement employé dans les psaumes, nous font passer cette rivière sans risque de trempage intempestif.
Issu d’un spiritual du XIXème siècle, "Rock My Soul" a fait l’objet de reprises via de nombreux bons cul-bénis. Ce traditionnel a été mitonné à toutes les sauces pentecôtistes et méthodistes, mais aussi Country Gospel (Burl Ives), Folk (PETER, PAUL & MARY), la version la plus connue étant celle du KING. Si vous êtes amateurs de Soul et de Memphis Sound, disons-le tout net, y’a pas photo. La présente version devrait remporter moult suffrages, reléguant bien loin celle d’ELVIS. On se laisse aisément bercer par le tempo et les paroles répétitives : Oh, rock my soul - In the bosom of Abraham.
A la lecture de ces quelques lignes, on croirait que le disque reprend le système des singles des années soixante avec une face rapide et une lente. Preuve en est avec "God's Got His Eyes On You" qui reprend un peu le tempo de "One River To Cross". Les amateurs de Soul et autres petits malins pourront souffler un coup et se dire qu’enfin ils connaissent un morceau avec "A Change Is Gonna Come", titre emblématique de Sam COOKE et futur hymne des Droits Civiques, sauf qu’il s’agit d’un homonyme créé par Elder Ward & The Gospel Four. Si la guitare nous renvoie à une mixture de sonorités entre Fuzz et Funk 70’s, l’orgue tapisse un patchwork bien moelleux. Rien d’étonnant avec Al Gamble, organiste ayant officié auprès de Preston Shannon, The Bo-Keys, Jimmy Thackery et Don BRYANT.
Autre titre issu du catalogue de D Vine Spirituals avec "I’m Going Home" des Gospelaires. On se laisse prendre par le chant d’Anthony 'Amp' Daniels, tandis que les baguettes de George Sluppick (ex-Albert KING, Rufus THOMAS, Ruthie Foster) délivrent un tempo aussi martial que métronomique.
Le groupe de backing transforme "I Know I've Been Changed" *, un obscur Piano Gospel de Sister Jessie M Sherley, en une petite pépite de Gospel Soul. Le ton monte d’un cran avec "Up Above My Head", titre des Southern Sons, autre troupe de Memphis qui connut son heure de gloire, popularisé par Sister Rosetta THARPE. Les harmonies vocales sont encore au top, tandis que la rythmique tisse un lien étroit avec le Rock'N'Roll. On recommandera au passage la version de Vanessa Collier qui incluait un bon solo de guitare. Dernier titre avec un second emprunt aux Southern Sons, "I’m a Soldier in God’s Army" ne laisse aucun doute quant aux implications des membres envers la musique dédiée au Seigneur et ses sbires. Le titre a connu des covers bien bigarrées via James CLEVELAND, Lyle Lovett ou le groupe Together.

DEDACATED MEN Of ZION nous adresse ici un second recueil qui mérite une attention soutenue, bien éloigné de certains Gospels contemporains chargés de boîtes à rythmes et de divers artifices. Si 'Amp' Daniels a dans le passé fait quelques infidélités au Lord, œuvrant auprès de Tony Braxton, Kelly Price, Elton JOHN ou BeBe Winans, il s’offre ici une sacrée rédemption. A noter que tous les membres sont liés par le sang, le groupe étant une troupe familiale. Les grincheux pourront rétorquer que Bruce Watson tire sur la corde en faisant reprendre six titres issus des deux volets consacrés au micro label de Juan Shipp Sacred Soul : The D Vine Spirituals Records Story volumes 1 et 2. Il n’empêche que la formation nous délivre d’excellentes harmonies vocales, orchestrées avec sincérité. Un beau message d’espoir alors qu’un taré occasionne en ce moment même l’un des plus beaux massacres du nouveau millénaire.


*Titre homonyme à celui de Kitty Parham.