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NEW-AGE/AMBIENT  |  B.O FILM/SERIE

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Kenji KAWAI - Ghost In The Shell (1995)
Par PSYCHODIVER le 1er Avril 2022          Consultée 1419 fois

AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Une mégalopole futuriste nippone que Fritz Lang et Thea Von Harbou auraient pu imaginer. Une ambiance Michael Mann rencontre Andrei Tarkovski. Le J.G Ballard urbain aliénant associé à la robotique noble d'Asimov et à la tempête sous un crâne dickienne. Un monde globalisé régi par un transhumanisme qui n'a fait qu'amplifier un déclin progressif. Une héroïne. L'héroïne avec un grand H. Motoko Kusanagi. Flic cyborg d'élite en pleine crise existentielle, dont les beaux yeux d'un bleu électrique irréel recèlent toute l'humanité qui lutte pour ne pas disparaître. Des racailles en col blanc. Un pirate informatique insaisissable et susceptible de faire s'effondrer tout le système.

Pour quiconque a été marqué par les récits de science-fiction issus de l'esprit du génial Leiji Matsumoto, par la théologie tortueuse de "Neon Genesis Evangelion", l'art enraciné inhérent au studio Ghibli et, dans un registre un peu plus léger (quoique), par les aventures citadines et nocturnes de trois sœurs voleuses (trois bombes, surtout l'aînée) : la découverte (tardive me concernant) de Ghost In The Shell fut un choc esthétique comme thématique. En attendant, qui mieux que Mamoru Oshii, grand parmi les grands, cinéaste à fleur de peau et apôtre d'une japanime atypique et riche en niveaux de lecture, pouvait matérialiser un tel projet à l'écran ? L'art de transcender un seinen peu fameux (un sous Blade Runner / Neuromancien, deux œuvres étant à la base d'effroyables purges) pour donner naissance à un des rares films pour lesquels le qualificatif galvaudé de 'chef-d'œuvre' est légitime. Par extension, l'un des films de chevet de votre serviteur. Mais cette réussite majeure ne l'aurait pas été sans une partition musicale miraculeuse.

Avant d'être une sorte d'otaku de la B.O de films, Kenji KAWAI est un mélomane averti. Contrairement à son homologue Joe HISAISHI, il n'a pas été bercé par les cadors du classicisme. Lui ne jure que par la chanson française des grandes heures, l'électricité d'un Carlos SANTANA, voire du hard-rock fondateur de DEEP PURPLE. Ce qui ne l'empêche pas de privilégier les synthétiseurs et les instruments traditionnels de son archipel natal comme du vieux continent pour ses travaux. Longtemps cantonné aux animes inspirées des œuvres très déjantées de Rumiko Takahashi (si j'apprécie les mésaventures épico-romantico-temporelles d'Inuyasha, je n'ai jamais pu adhérer aux délires de "Ranma 1/2") : la coopération entre Kawai la rockstar et Oshii le marginal commence sur les Panzer Corps de "Lunettes Rouges/The Red Spectacles" et se poursuit sur les méchas des deux premiers opus de "Patlabor". Ces derniers permettant à Kenji de développer sa patte, entre Brian ENO et la city pop, Angelo BADALAMENTI et le kabuki. Puis vint Ghost In The Shell. La confirmation. Et si j'aurais personnellement adoré pouvoir écouter l'apport éventuel d'une implication de Gary NUMAN ou de Robert Calvert sur le projet (Dieu sait que la quête spirituelle du Major Kusanagi aurait plu à cet esprit brillant mais torturé s'il avait vécu plus longtemps !), je peine à concevoir la réussite magistrale de l'œuvre filmique sans cette bande originale à nulle autre pareille. Kenji a su autant éviter le pathos excessif d'un magma synthétique pompeux et hors propos (du genre de celui dans lequel s'était perdu VANGELIS sur Blade Runner) que les délires technos ou autres kitscheries pseudo électro souvent inhérentes aux longs métrages d'inspiration cyberpunk. Le compositeur otaku s'est affranchi des cloisons de l'ambient comme des partitions traditionnelles pour donner naissance à un véritable joyau.

Musicalement parlant, l'émerveillement est permanent sur [i)Ghost In The Shell. Mais il ne se manifeste pas avec la facilité détestable des tires-larmes hollywoodiens (encore moins celle des imitations tricolores). C'est le propre des musiques sacrées. La révélation n'obéit pas à l'immédiateté. Le coup de cœur ne viendra que si l'auditeur sait faire preuve de la patience, de l'attention et de l'ouverture d'esprit requises. Des textes aux ambiances, la complémentarité entre un film et sa B.O n'a jamais été aussi majestueuse et viscérale. Le ton est donné dès l'ouverture "Making Of Cyborg", ses harmonies bulgares et ses chœurs féminins en yamato (japonais ancien) célébrant des noces fantasmagoriques qui prendront toute leur dimension avec le dénouement du film. Pourtant, pas besoin d'avoir été fasciné (au point de ne pouvoir cligner des yeux) par l'opening sensationnel où l'on assiste à la conception de la belle Motoko pour vivre l'expérience que procure cette B.O, qui réussit le tour de force d'être indissociable du film qu'elle accompagne comme indépendante en tant qu'œuvre unique.

Tissant une ambiance aquatique (à l'image de l'océan terrestre comme virtuel d'où jaillit le vivant) et cotonneuse, obsédante et liturgique (ces nombreux silences propices à l'introspection ou l'étude de textes amenant vers l'éveil et la lucidité), l'album oscille entre plages ambiantes où règnent un doute parfois étouffant, enrichies par des sons industriels stressants (l'angoissante "Ghosthack), les mêmes sonorités que l'on retrouvera dans la B.O de Matrix par Don Davis (il est connu que les Wachowski doivent tout à Ghost In The Shell, à tel point que la frontière entre référence et plagiat est parfois inexistante, mais nous reparlerons de cet autre faux mythe dans une prochaine chronique) et des pistes à travers lesquelles l'humanité déclinante ressurgit par l'intermédiaire des superbes chœurs déjà évoqués, mais aussi des cordes, des percussions exotiques et d'une guitare hispanisante. "Virtual Crime" apparaît ainsi comme une parfaite hybridation des deux tendances qui sous-tendent l'anime et sa B.O, électronique/acoustique, mécanique/organique. L'ensemble est perpétuellement secondé par les claviers, délivrant une toile de fond sombre et belle. En témoignent une lacrymale "Ghost City" (conciliation entre city pop ouvragée et heavenly à la COCTEAU TWINS période Treasure) et un "Nightstalker" à la poésie urbaine envoûtante et à la concision impeccable. "Floating Museum", nocturne, abyssal et glacial, pousse l'onirisme dans ses retranchements les plus douloureux tout en demeurant profondément tragique. Le NEW ORDER de "Elegia" rencontre DEAD CAN DANCE dont le Dying Sun se coucherait à l'Est du recoin le plus septentrional d'Hokkaido (ces chœurs bon sang, cette foutue scène du tank surtout, un vrai traumatisme, doublé d'une potentielle oraison funèbre d'une civilisation millénaire !). Le thème épuré et obscur de l'énigmatique Puppet Master (le fameux pirate informatique tant redouté), gongs, carillons et cloches anxiogènes à l'appuie, celui-là même qui avait déjà fait des siennes sur "Puppetmaster" et "Access", arrive à son apogée sur "Ghostdive".

Toute l'œuvre est savamment bâtie selon une subtile montée en puissance qui atteint le firmament avec "Reincarnation". Combinaison de tous les motifs précédemment utilisés qui aboutit à un crescendo émotionnel d'une beauté indescriptible. Chœurs, percussions, claviers et cordes se réunissent une dernière fois pour consacrer l'ultime transcendance et la victoire de la vie qui, au-delà des limites imposées par la chair et la machine, toujours, saura se frayer un chemin, faisant fi des affres de l'existence. Saint-Paul rencontre Amaterasu et le Kojiki avec la bénédiction de Guénon au fil d'une composition dont la splendeur et la poésie ne peuvent provenir que des cieux. On ne saurait trouver meilleure conclusion que ce morceau, véritable trésor de la musique au sens large, dont le seul rival en matière d'émotions suscitées par une B.O serait le "Mysteries Of Love" d'Angelo BADALAMENTI et Julee CRUISE. Les larmes me viennent alors que j'écris ces quelques lignes.

Ainsi, on peut déplorer l'ajout peu réfléchi de "See You Everyday", pop song cantonaise sautillante et pas désagréable, mais intruse totale au sein d'une bande originale aussi immaculée. Elle a beau faire office de dernière piste bonus, elle brise l'équilibre vaporeux et solennel de l'œuvre. Dieu merci, certaines éditions vinyles ont choisi d'exclure cette sucrerie.

On ressort transformé de l'écoute d'un tel album. De même que la vision du film d'Oshii ne peut que générer un bouleversement intégral de notre perception du monde matériel. Surtout à une époque comme la nôtre, où l'IA est en pleine ascension, tandis que la fracture sociale et la pourriture globaliste/gouvernementale atteignent leur phase terminale. À grand film grande bande originale. Et comme il n'y a pas plus beaux anime que ceux enracinés dans le passé et l'aura bénéfique de leur archipel désormais moribond, il n'existe pas plus magnifiques partitions que celles puisant dans ce que les cultures ont façonné de plus noble. S'il lui faudrait attendre [i)Avalon pour acquérir la renommée mondiale, Kenji KAWAI obtenait avec Ghost In The Shell son œuvre la plus personnelle et la plus mature : un statut non usurpé de compositeur de génie.

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Non disponible


1. Making Of Cyborg
2. Ghosthack
3. Puppetmaster
4. Virtual Crime
5. Ghost City
6. Access
7. Nightstalker
8. Floating Museum
9. Ghostdive
10. Reincarnation
11. See You Everyday (bonus)



             



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