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2019 SergeÏ

Lucie ANTUNES - SergeÏ (2019)
Par LE BARON le 2 Juin 2022          Consultée 586 fois

Longtemps, les percussions ont été le parent pauvre de la musique. En Europe, du moins. Dédaignées par les compositeurs, elles sont restées un peu en marge, au motif qu’elles seraient bruyantes et sans finesse. Ben oui les gars, mais que ne composâtes-vous des partitions un peu plus fournies ?

Il faut attendre le 20ème siècle pour que les choses changent. Certains compositeurs (STRAVINSKI et son Sacre en tête, BARTOK, etc.), même s’ils s’appuient toujours sur des orchestres « classiques », se mettent peu à peu à explorer les possibilités du rythme bien au-delà de ce qui se faisait jusqu’alors. Cette exploration, qui va sans doute de pair avec l’érosion de la toute-puissance de la mélodie – peu à peu dissoute dans le grand bain d’acide de la modernité, même si elle survivra dans de nombreux genres musicaux plus populaires –, va donner au rythme une importance de plus en plus grande, au point que certains compositeurs vont finir par écrire des œuvres pour percussions seules ou presque : Ionisations, de VARESE, créée en 1933 en est l’exemple le plus volontiers cité*.
C’est cependant dans les années 50 et 60, avec la génération des STOCKHAUSEN ou XENAKIS, puis de RILEY et REICH que vont véritablement se développer les percussions – notamment à claviers –, parfois en parallèle avec la musique électronique**.

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que Lucie ANTUNES descend de ces gens-là. Percussionniste « classique » passée par le conservatoire, batteuse, elle mêle l’électronique aux percussions, et construit à partir de boucles une musique complexe rythmiquement, bourrée d’infimes variations – le port du casque est recommandé –, mais sans jamais se départir d’un esprit pop beaucoup plus léger que la mécanique de précision certes brillante mais parfois pesante d’un REICH.
Utilisant parfois sa voix pour créer des nappes et enrichir encore la matière sonore qu’elle construit, Lucie ANTUNES peut aussi créer des airs – il n’y a aucun texte – que l’on fredonnera volontiers, qu’ils rappellent Ennio MORRICONE ("Sergeï"), ou Meredith MONK*** ("Iceland"), toujours avec l’air de ne pas y toucher.

Cette légèreté permanente, cette élégance consistant à faire paraître simple ce qui est subtil, c’est à CHAPELIER FOU que cela peut faire penser. Lucie ANTUNES et Louis Warynski partagent non seulement le goût du mélange d’instruments acoustiques et électroniques, mais aussi celui pour ces modulations discrètes du son et du rythme, beaucoup de changements étant opérés à l’arrière-plan.
En fait, ANTUNES est si peu démonstrative qu’il faut aller la voir en concert pour prendre la pleine mesure de l’engagement que nécessite sa musique. Faisant feu de tout bois, de tout métal, de toute peau, elle navigue avec aisance et puissance dans une polyrythmie de haute volée, concentrée, légère, joyeuse.

Vous l’aurez compris, ce disque est formidable. Il a bien son petit défaut, qui n’en est pas vraiment un : il est trop court. Car la percussionniste a un sens de la concision si poussé qu’il peut créer de la frustration. Franchement, mise à part "Lettre à F.", un peu longuette, on aimerait avoir davantage de temps pour entrer dans chacun des titres en profondeur. Essayez "Blue Child", par exemple, ou "Kālimat", dont les couches et les sous-couches se multiplient à l’envi, ou pourquoi pas "Láska", sorte de berceuse qui finit par ne plus tenir en place à force de monter dans les tours, ou « A Temps », polyrythmique en diable, et qui rend hommage au seigneur des percussions à claviers : le marimba****.

Sergeï s’écoute, mais surtout se réécoute souvent. Avec cet album, Lucie ANTUNES intègre le club des trop rares artistes réussissant à mélanger influences savantes et populaires sans mettre de hiérarchie entre les deux mondes. Et rien que pour cela, elle mérite votre intérêt.



*Selon Wikipédia, Ionisations serait la 6ème œuvre uniquement dédiée aux percussions. Cela est sans doute trop précis pour être vrai, mais c’est clairement une œuvre qui a marqué les esprits.
**Je pense à notamment à STOCKHAUSEN et XENAKIS, qui ont travaillé ces deux matières sonores.
***Moins connue que ses confrères RILEY ou GLASS, Meredith MONK a beaucoup travaillé sur les voix. Il est urgent de la (re)découvrir et de lui donner la place qu’elle mérite.
****Appréciation toute personnelle, j’en conviens. Mais quel autre instrument pourrait se mesurer au marimba, hein ?

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   LE BARON

 
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- Lucie Antunes (synthétiseurs, vibraphone, marimba, glockenspiel, )
- Agathe Issartier (voix)
- Audrey Ginestet (voix, basse)
- Carmen Maria Vega (voix)
- Julien Gasc (voix)
- Clémence Lasme (voix)
- Julia Robert (voix)
- Kim Giani (voix)
- Lucie Droga (voix)
- Vincent Ségal (violoncelle)
- Nathalie Forger (ondes martenot)
- Christophe Chassol (rhodes)
- Benjamin Glibert (guitare préparée)
- Jean-sylvain Le Gouic (synthétiseur)


1. Sergeï
2. Blue Child
3. Lettre À F
4. Kālimat
5. Láska
6. Iceland
7. À Temps



             



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