The World Turned Gingham est un disque rare, de ceux qui vous emportent loin.

Il faut dire que les deux étranges cow-boy à l’origine de cet ovni, Hank Sterman et Slim Fenster, ne viennent pas exactement de nulle part : Robin STOREY et Nigel AYERS, respectivement RAPOON (à l’origine le père fondateur de ZOVIET FRANCE) et NOCTURNAL EMISSIONS, sont les premiers héritiers (juste après NURSE WITH WOUND, WHITEHOUSE, SPK et MAURIZIO BIANCHI) du légendaire THROBBING GRISTLE. De l’indus donc, et très tôt orienté vers sa forme la plus tribale, fantomatique et psychédélique. On se retrouve aisément, que ce soit avec Robin ou Nigel, dans des climats, des atmosphères de fêtes souterraines ou de processions funèbres en plein soleil maya, mais sans jamais pouvoir identifier clairement un visage ni même un masque, comme si tout était destiné à retourner vapeur et poussière sous fond de chants d’oiseaux et de cithare indo-européenne. Des artistes du rêve éveillé, en quelque sorte.

La musique présente ici, sorte d’hommage décalé au Texas et au style de vie résolument cow-boy, nous arrive moins par pulsation que par souffle ; souffle parfois divin, en tout cas singulièrement onirique comme sur le mélancolique et très lumineux "Where Dust Settles".

"The Ballad of Marky Martin" est un petit chef d’œuvre à elle seule. Avec son sifflement traînant et directement inspiré de l’immense Ennio MORRICONE sur le non moins immense Once upon a time in the west, et ses vocaux de chien galeux mais tout à fait attachants. Ambiance de fin du monde sous le soleil du Mexique.

La dernière partie du trip est, comme il se doit pour qui est habitué au genre d’indus ici pratiqué, noyée dans de plus en plus de delay, reverb', echo, etc. Avec ses inévitables longueurs compensées par d’intenses remontées en surface rayonnante de lumière atomique. On ne sait plus très bien ce qu’il se passe mais la chose, l’espèce de musique en question nous soutient étrangement et presque amicalement dans son propre anéantissement doux et vaporeux. Quelque peu éloigné de l’ambient des cavernes façon LUSTMORD ou RAISON D’ETRE, mais pas trop quand même, l’ensemble évoque une lente désintégration dans la plénitude d’un paysage sudiste et harmonieux.

L’impression générale peut être résumée plus exactement dans l’image d’un duo de cow-boys prenant le café matinal par une aube nucléaire tout à fait sereine et propre à la méditation. Non pas un 'Déjeuner sur l’Herbe" revisité mais plutôt un 'Dead and Breakfest' entre gentlemen du Sud.

Un disque unique pour une évidente rencontre entre deux pionniers d’un genre aussi culte (c.f. la scène suédoise) que méconnu. Et pourtant le style de dark ambient pratiqué par RAPOON et NOCTURNAL EMISSIONS s’écoute avec le même genre d’attention et de bien-être qu’un brillant classique comme Thursday Afternoon de Brian ENO – c'est-à-dire avec une conscience supérieure.

Nous sommes ici en bonne compagnie onirique, tout simplement et avec toute la brumeuse intensité nécessaire.