Iran, premier chef-d’œuvre de MUSLIMGAUZE, fut envoyé sous forme de cassette en 1988 au tout jeune label hollandais Staalplat qui la publia rapidement avec cette superbe photo de jeune fille au regard si suprêmement mélancolique. Ainsi naquit une fructueuse collaboration qui, plus de 25 ans après la mort de Bryn Jones, continue de porter ses tous derniers fruits.

Dés les premiers accords de synthés en mode gravement mineur soutenus par une entière division rythmique, implacable comme il se doit par temps de conflit, on sent, on sait qu’il s’agit là d’un opus majeur. Et minimal comme il se doit chez MUSLIMGAUZE, sauf qu’ici, nous frôlons de très près la perfection dans le minimalisme. Du tout début à sa toute fin en forme d’irrésistible boucle orientale, nous restons crochés, fascinés comme des papillons de nuit autour de la lampe qui refuse obstinément de s’éteindre malgré la désespérante progression du néant.

Une excellente, sublime porte d’entrée pour ceux que les productions plus bruitistes et abrasives des années 95 et au-delà auraient quelque peu rebutés. Cela dit, Bryn Jones, contrairement à foule de vendus et autres opportunistes, n’a jamais donné dans la sombre concession. Cet opus, droit comme une fatwa, est d’une cohérence tout à fait dansante, comme le seront United States Of Islam et surtout Zul’m, mais sans jamais tomber dans la facilité ethno-branchée qui fera, dans les années 90, le succès de nullissimes formations ayant pour seule ambition d’abrutir la jeunesse tout en faisant rentrer de l’argent facile.

La musique ici réunie, et d’apparence réduite à son plus strict apparat, se révèle d’une incomparable richesse aux fils des écoutes. Il suffit de laisser derrière soi toute superficielle volonté de paraître, voire même tout désir (légitime) de s’amuser ou se divertir. MUSLIMGAUZE est un projet, une musique de l’être dans le sens le plus Heideggerien du terme – il serait temps de le comprendre, de l’intégrer et de le propager.

A l’heure où j’écris ces modestes lignes, les jours de la République islamique d'Iran sont peut-être comptés. Certes, dans l'absolu, aucun régime, qu'il soit monarchique, laïque, modéré ou modérément archaïque, n'est immortel. Tous sont condamnés, un jour ou l'autre, à disparaître. L'Iran, dans sa forme actuelle qui n'a que 45 ans et demi ou en tant qu'héritière de l'imam Ali et plus encore de la Perse antique, pourrait disparaître demain comme survivre au-delà du jugement dernier. Il n'appartient, dans tous les cas de figure, qu'à Dieu d'en décider et sûrement pas aux colons israéliens ou aux américains.

In fine, Bryn Jones aura, par son oeuvre pléthorique et singulière, ouvert la voie à une forme de contestation incendiaire qu'aucun pompier ne saurait désormais éteindre.