A l’occasion du cinquantenaire de la sortie du premier et unique disque de Willis Alan RAMSEY, un éponyme édité par le label Shelter, il nous a semblé opportun de revenir sur ce musicien atypique qualifié de culte dans les milieux Country, Folk et Americana.

Originaire de Birmingham (Alabama), Willis passe son enfance à Dallas où sa famille s’est établie. Guitariste, mandoliniste et banjoïste précoce, Willis se révèle un excellent chanteur, intégrant la chorale de son lycée. En 1969, une fois son Bac en poche, il se lance dans la composition et tente sa chance au culot dans les studios de Leon Russell, propriétaire du label Shelter.
Excellent songwriter, le jeune guitariste est placé sous la houlette de l’anglais Denny Cordel, un ancien de la maison Island, connu pour avoir produit "The Magnificent Moodies" des MOODY BLUES et" Whiter Shade Of Pale" de PROCOL HARUM, deux cartons lui ouvrant un bon paquet de portes.
Si Willis est novice en matière d’enregistrement et de production, il a un projet solide en tête et une vision précise de chacune de ses chansons. Enregistré dans cinq studios différents (Memphis, Hollywood, Tyler et Nashville) entre mai et décembre 1971, cet éponyme dévoile en premier lieu un beau parterre de sessionmen encore peu connus. Au fil des pistes, on retrouve les guitaristes Eddie Hinton (Boz SCAGGS, ELVIS, Aretha FRANKLIN) Red Rhodes (The BYRDS, Gene VINCENT, Harry NILSSON) les bassistes Tim Drummond (DYLAN, Ry COODER, Neil YOUNG), Leland Sklar (Rita COOLIDGE, Jackson BROWNE) et Carl Radle (CLAPTON, JJ CALE, Freddie KING), les batteurs Jim Keltner (George HARRISON, Joe COCKER, Bill WITHERS) et Russ Kunkel (Joni MITCHELL, BB KING, Carole KING) ou bien encore le saxophoniste Ernie Watts (James BROWN, Albert KING, Cannonball Aderley)

D’entrée, Willis nous plonge dans un paysage sombre avec "Ballad Of Spider John", sorte de tragique road-movie amplifié en arrière-plan par la sonorité d’un fiddle. Le titre sera repris par Jimmy Buffet et Sam Bush (New Grass Revival). Considéré comme son plus grand succès, le métaphorique "Muskrat Candlelight" sera repris sous le titre "Muskrat Love" par le trio AMERICA et le duo Captain & Tennille qui parviendra curieusement à faire grimper la chanson à la 4ème marche des charts Pop. Une version édulcorée gorgée d’effets dignes de "Pop Corn" aussi ridicules qu’intempestifs.
Véritable twang entre Ragtime et Hillbilly Blues, le bucolique "Geraldine And The Honeybee" est une merveille d’écriture magnifiée par une rythmique squelettique et un harmonica aussi doux que rustique. Un titre annonciateur et inspirateur de Guy CLARK, Townes Van Zandt, Steve Earl et consorts. Malgré la brièveté du morceau (140 secondes) l’empreinte poétique des paroles sort la chanson du carcan de la Country texane : Geraldine, chrysanthemine - Prettiest little flower that I ever seen - Petal child, growin' wild and - She's my glitter and my gold. Si les premières notes de "Goodbye To Old Missoul" renvoient à une balade californienne, les regrets d’un amour à peine naissant et une fuite en avant nous dépeignent ici une atmosphère pleine de mélancolie. Le titre sera repris par l’excellent groupe de Seattle Marley’s Ghost et en version New Grass par Russell Moore & Illrd Tyme Out.
Changement de ton avec "Wishbone", titre qui tient autant d’un Cabaret Rag que d’un Country Rock et dans lequel Larry Steelman signe une entrée remarquée au piano. Retour à un mélange de Folk et d’Hillbilly texan avec "Satin Sheets" *. Le chant étonne encore une fois : malgré sa jeunesse, Willis témoigne d’un timbre éraillé plein de maturité tel un vieux briscard. Si les guitares acoustiques annoncent un décor Folk, le texte plein d’humour et d’ironie sur les méfaits pervers de l’argent et les dangers du showbiz dérive vite vers un climat plus torturé. I wish I was a millionaire - I’d play rock music and grow long hair - Pretty women'd come to me I'd give 'em all the third degree - I'd give 'em Satin Sheets to keep 'em off the streets - Alléluia.

Avec un harmonica et un fiddle qui s’entrecroisent, "Painted Lady" évoque une liberté révolue. Sans en avoir l’air, RAMSEY nous délivre un doux et poétique pamphlet contre le modernisme. Les amateurs de Bluegrass reconnaitront le titre repris par Knoxville Grass. Si GAINSBOURG a fait du chou une thématique à succès, RAMSEY nous assène avec "Watermelon Man" ** une diatribe sur les bienfaits de la pastèque, fruit soufflant un esprit de liberté et d’amour. Deux titres dans lesquels Folk et Country se combinent remarquablement. Les guitares acoustiques et la pedal steel délivrent un délicat nappage sur "Boy From Oklahoma" qui tient lieu de Protest Song, le garçon de l’Oklahoma, personnage fictif, représentant un appel à la liberté. On notera toutefois que l’auteur cite Woody Guthrie et le 28ème président américain, Woodrow Wilson, instigateur du New Freedom et de la journée de 8 Heures pour les cheminots. La chanson sera reprise par la regrettée folkloriste Kate Wolf.
Le disque se termine avec "Northeast Texas Women", une véritable jam session captée à Memphis. Sous le signe d’une humeur festive, RAMSEY et ses compagnons délivrent ici une ode au Texas, état d’adoption du guitariste, et aux femmes de la région, la chanson se clôturant sur du pittoresque : Them Texas women is Texas gold -Kisses that are sweeter than cactus. David Bramberg reprendra la chanson dans une version ébouriffante avec sousaphone dans une veine à la New Rhythm and Blues Quartet (NRBQ). Un artiste atypique, pionnier du registre America et grand influenceur de Steve Earle, Lyle Lovett, The Flatlanders et consorts.

Adulé à la fois par de nombreuses vedettes de la Country, du Folk, de l’Americana, du Cow Punk et de la Country Alternative, Willis Alan RAMSEY signe un disque étonnant dans lequel le jeune artiste parvient à faire s’emboîter plusieurs registres. Mais c’est avant tout un album d’auteur dont il s’agit ici avec des titres qui ont influencé un paquet de musiciens péquenots. Cet album reste cependant un cas à part dans le monde de l’industrie du disque. Suite à un désaccord avec sa maison de disques, Willis refusa de promouvoir le sien. Faut-il voir là de la paresse, un j’menfoutisme incroyable, un mouvement d’humeur en raison d’un problème financier et artistique avec Leon Russell, un perfectionnisme poussé à l’extrême, un manque d’ambition ou plus sérieusement un refus de notoriété ?

Durant les eighties, Willis quitte le Texas et s’établit en Angleterre pour suivre un cursus universitaire sur la narration musicale traditionnelle et moderne. Il est retourné en Amérique où il fait équipe avec Alison Rogers (madame Ramsey à la ville) tout en se consacrant à son métier d’auteur. A l’orée du nouveau millénaire, la presse américaine pensait qu’il enregistrait un disque, galette qui n’a jamais vu le jour. Lors d’un passage à l’émission Austin City Limits, le présentateur lui demanda quand sortirait son prochain disque ? Willis répondit du tac au tac au gars éberlué : Qu’est-ce qui ne va pas avec le premier ?

*Titre homonyme à celui chanté par Bill Anderson.
**Titre homonyme à l’instrumental d’Herbie HANCOCK.