COEUR DE BRETAGNE est à la fois un spectacle et un album seul, la sortie de ce dernier se plaçant en proue, un peu à la manière des comédies musicales ; même si le parallèle s'arrête là, ainsi que dans une forme certaine de chanson-variété proposée en tournée dans les salles françaises. Philippe Férec, claviériste depuis 1995 au sein du groupe breton SONERIEN DU, classique parmi les classiques, prend en charge la création, la réalisation et la conception d'un spectacle dédié à la Bretagne. Outre des danseurs, c'est toute une conception visuelle qui est donnée avec projections filmées, lumières etc, et pour un projet d'envergure, au milieu d'une véritable troupe, des musiciens de renom sont conviés : le sonneur Kevin Camus (GWENNYN, Alan STIVELL), la joueuse de harpe morlaisienne Nolwenn ARZEL, ainsi que la chanteuse Clarisse LAVANANT.

L'idée créative pourrait presque donner l'impression de partir d'un seul morceau, à savoir "Coeur de Bretagne", dont l'origine remonte à... 1980 ! À ce moment-là, Yann Goas, joueur de bombarde des SONERIEN DU, compose "Feunteun an Aod Ton Bale Plogo", mélodie instrumentale en hommage aux gens de Plogoff, à leur combat contre l'implantation d'une centrale nucléaire, leur droit de respirer l'air de leur choix - pour paraphraser les paroles. Celles-ci, c'est la bonne fée LAVANANT qui les écrit sur l'air de 1980, arrangé par Férec. La Bretagne est souvent citée comme équilibre entre modernité et conservation de la nature, et c'est ce que le spectacle met en exergue, avec une véritable déclaration d'amour sur toile d'argoat (pays de terre) et d'armor (pays de mer). L'enregistrement de l'album se fait au printemps 2021, six mois avant le décès de Yann Goas.

Férec reprend un autre morceau de 'son' groupe, "Steïr", troisième mouvement d'une suite de l'album éponyme et ultérieur, l'un des premiers publiés après son arrivée en 1996. Et pour couronner le tout, c'est la quasi-totalité des SONERIEN DU dans son incarnation actuelle qui l'accompagne sur ce projet : Julien Tymen (bombardes), Claude Ziegler (guitares), Christophe Runarvot (basse) et Tangi Pensec (binioù-kozh, cornemuse écossaise). Deux Brestois, le violoniste Ronan Rouxel (GWENNYN, Nolwenn LEROY) et le batteur Jean-Christophe Boccou (GLAZ, Nolwenn KORBELL) complètent l'orchestre typiquement placé sous l'égide du folk-rock breton, celtique étendu avec notamment les whistles/uilleann pipes de Kevin Camus.

L'ouverture célèbre la beauté des rivages finistériens et leur ouverture sur les mondes extérieurs, réels ou imaginaires, en grandeur orchestrale, vagues de cordes, sons de hautbois programmés avec intonations médiévales. "La Fin de la Terre" fait intervenir sans plus attendre Clarisse LAVANANT, la fée-chanteuse tant aimée pour une superbe ballade, ponctuée de basse fretless et envolées de uilleann pipes. Je viens d'un pays aux larmes de pierre, où chaque légende est une autre vie. Cette chanson, co-écrite avec le grand Dan AR BRAZ (d'ailleurs pas si éloigné de ce COEUR DE BRETAGNE lui non plus !), figurait en première piste du deuxième album de LAVANANT en 2005, Vers l'Imaginaire, aujourd'hui introuvable en support physique ; elle est également sur Harmonie (2018), leur album en commun.

La poésie émerveillée se retrouve sur "L'Écho des Étoiles" avec quelques touches DISNEY en prime dans son évocation du printemps, des belles choses. Les paroles, une nouvelle fois, sont de la chanteuse. "En Brocéliande", premier retour aux histoires sans mots, fait apparaître voix féminine comme masculine pour un ensemble aussi planant que profond, où brille notamment la harpe de Nolwenn ARZEL. À côté de cela, on rencontre quelques classiques de longue date célébrant la Bretagne comme l'hymne du "Bro Gozh ma Zadoù" ("la terre de mes pères"), proposé sur un rythme ternaire original aux arrangements seyants, ainsi que "Ma Bretagne Quand Elle Pleut" de Jean-Michel CARADEC dans une version splendide, un peu plus chaloupée voire électronique.

Les instrumentaux, hors de la douceur, sont aussi l'occasion pour les SONERIEN DU d'imposer leur marque rock, folk mais aussi progressive. La "Korrigan's Dance" mêle intelligemment musique de chambre grâce aux synthétiseurs/programmation de Philippe Férec et rupture portée par les bagpipes/la cornemuse écossaise. Tout aussi glorieux, "Steïr" n'en est pas moins introduit par le couple le plus breton des danses traditionnelles d'antan comme d'aujourd'hui, à savoir la bombarde et le binioù-kozh. Sur le modèle tel qu'on l'a connu depuis le début des années 70 avec Alan STIVELL, "Roc'h Breizh" enchaîne avec force et diversité les standards inoubliables de la musique armoricaine que sont "Marv Pontkalleg", "Son ar Chistr", "E Pardon Spezet".

COEUR DE BRETAGNE est donc à écouter – à défaut d'avoir pu voir en direct, trop tardivement ! Plus modeste en termes de moyens que les productions d'Alan SIMON et jusque dans son concept, la richesse comme le plaisir y sont loin d'être absents.