Originaire de la Nouvelle-Orléans, Kenny NEAL s’est très tôt révélé dans l’orchestre de son paternel, Raful Neal. Il y côtoya Buddy GUY, Guitar Gable et Rudolph Richard, deux virtuoses du Swamp Blues passés par le label Excello et anciens équipiers du grand Slim HARPO. Des noms qui claquent et méritent le respect. De son père, Kenny a hérité une voix chaude capable de multiples nuances à l’instar de nombreux barytons et aussi d’un jeu d’harmonica qu’il a su faire évoluer au fil des années.

Si Kenny NEAL a débuté sa carrière solo en 1987, une fois trentenaire, il avait déjà de nombreuses heures de vol derrière lui. Dépositaire d’une discographie inégale comptant environ une quinzaine d’albums studio, il est devenu au fil des ans l’un des meilleurs représentants du Blues louisianais, raison pour laquelle on le voit souvent comme tête d’affiche des plus gros festivals européens dédiés au Blues.

Enregistrée à Baton Rouge au Brookstown Recording Studio, cette somptueuse galette laisse, au vu de son titre traduisible par Sorti tout droit du cœur et d’une impressionnante liste d’intervenants ou d’invités, percer une attente qui, disons le tout net, ne sera jamais déçue. Loin de nous l’idée de paraphraser le fameux slogan publicitaire : Son meilleur disque ! mais il faut avouer qu’on n’en est pas loin. S’il convient d’éviter toute surcote, ce Straight From The Heart est pour le moins égal à Devil Child et Hoodoo Moon, deux albums publiés par Alligator Records, le label de Bruce Iglauer.
On divaguait plus haut sur les gènes du guitariste et sur certains intervenants, une première écoute et l’étude de la notice intérieure nous confortent dans notre impression. Outre le frangin Darnell à la basse et sa fille Syreeta, on trouve quelques invités de renom comme la fratrie DOPSIE, le bassiste légendaire Lee Allen Zeno (Buckwheat ZYDECO, Phillip WALKER, Irma THOMAS, Bobby RUSH), le guitariste et étoile montante Christone 'Kingfish' INGRAM et Tito Jackson (Jackson 5).

Honnête songwriter, Kenny nous gratifie ici de cinq originaux auxquels s’ajoute "Mount Up On The Wings of The King" coécrit avec Raye Edwards, Eric Harper et Christone Ingram. C’est justement une de ses compositions, "Blues Keep Chasing Me", dédiée à la mémoire de Lucky PETERSON décédé soudainement en 2020, qui ouvre les débats, et dans laquelle différents affluents louisianais semblent se déverser.
Seconde compo avec "Mount Up On The Wings of The King" où NEAL et 'Kingfish' Ingram se livrent à de beaux duels, tant à la guitare qu’au micro, un titre en hommage appuyé à BB KING.
Avec "Louise Ana", le guitariste nous immerge au fond des bayous, quoi de plus logique avec un tel titre ! La basse de Lee Allen instaure une rondeur hyper groovy tandis que l’accordéon de Big Nate Williams (alias Nathan WILLIAMS) tisse une toile ambigüe entre valse lente et slow blues. L'ambiance dégagée nous transporte dans le film de Tavernier Dans la brume électrique, passage de la fiesta organisée par le mafieux 'Baby Feet' Balboni (John Goodman) et dans lequel le groupe ZYDECO CHA CHAS nous offrait une démonstration de two-step.
Avec "It’s Been So Long", Kenny nous prouve qu’il est également un excellent adepte de l’harmonica grâce à son phrasé nonchalant teinté par l’éclat des cuivres dont la sonorité nous ramènerait sur les rives de la Crescent City. Autre grand moment avec "Bon Temps Rouler" *, titre qui oscille entre two-step et boogie blues, où Big Nate Williams, Anthony et Dwayne Dopsie nous balancent une épique confrontation à l’accordéon, duel arbitré par le frottoir de Rockin’ Dopsie.
Dernière compo avec "New Orleans" qui célèbre la ville natale du guitariste. Le piano d’Arnet Hayes semble danser au rythme du frottoir de Rockin’ Dopsie tandis que les cuivres incorporent le refrain de "Down By The Riverside", initialement un spiritual chanté par les esclaves durant la Guerre Civile et repris par Louis ARMSTRONG versus New Orleans Sound.

Au chapitre des reprises, Kenny n’oublie pas de rendre un hommage à son paternel avec "It’s Been So Long" ●, titre qui oscille entre Blues New Orleans et Swamp. Si la voix reste énergique, elle a perdu en souplesse, ce qui n’empêche pas NEAL de nous livrer de bons passages d’harmonica entre Jimmy REED et Whispering Smith.
Il modernise "Someone Somewhere", hit mineur de Junior PARKER, avec un délicat enrobage de cuivres. Le piano de Darrell Jefferson et l’Hammond de Ian Smith y tissent un excellent entrelac en arrière plan.
Petit clin d’œil à Joe 'Survival' Caruso, guitariste de la Nouvelle Orleans, avec "I Got To Tell Somebody". Si la voix burinée sied parfaitement au morceau, on aurait aimé que les interventions à la guitare soient plus tranchantes, là Kenny ronronne et laisse la meilleure part du gateau à ses accompagnateurs.
Autre hommage avec "I’ll Play The Blues For You", œuvre de Jerry Beach popularisée par Albert KING. Si Geater Davis, Bryan LEE, Lurrie Bell ou Aron Burton avaient remis le morceau aux portes de la magnificence, Kenny ne s’en sort pas si mal avec une belle dédicace à Albert KING.
Enfin, il reprend "Two Timing" où Tito Jackson, intervenant en guest, imprime son timbre soulfull qui tranche avec le reste de l’album. Un juste retour des choses, Tito ayant invité le Louisianais sur l’album Under Your Spell.

Thomas Ruf, patron du label Ruf records, nous propose encore un disque à la production bien soignée. Si la voix de Kenny manque parfois de souplesse, le jeu de guitare est excellent, même si on aurait aimé quelques prises de risques supplémentaires. Le répertoire groupant originaux et reprises demeure cohérent et éclectique, mais la Louisiane reste le dénominateur commun à la majorité des pistes. Mention au titre d’ouverture, au fantastique "Louise Ana" et à "Bon Temps Rouler" avec la collaboration de trois accordéonistes virtuoses. Afin d’être complet, signalons que cuivres, rythmique et claviers sont des atouts de première main.

Note réelle 3,5.


*Titre homonyme à celui de Clarence Garlow.
●Titre homonyme à ceux de Webb Pierce, Brinsley Schwarz, Harry Nilsson, Willie West.