Cinquième album pour Grant DERMODY, un natif de Seattle. Longtemps cantonné dans le Country-Blues et spécialisé dans l’acoustique, l’harmoniciste avait précédemment dédié un hommage en compagnie de Frank Fotusky à John Jackson, bluesman du Piedmont.
Installé en Louisiane depuis 2015, Dermody a de nombreux concerts à son actif, le bonhomme a également participé à plusieurs recueils d’artistes réputés (Jim Page, Eric BIBB, Cedric Watson, Corey Ledet ou Dirk Powell). Pour l’occasion, certains d’entre eux viennent ici lui prêter main forte, un juste retour d’ascenseur comme on dit. C’est ainsi qu’on retrouve le guitariste Dirk Powell, également présent dans un rôle de coproducteur, Lee Allen Zeno à la basse, le batteur Gerard St Julien (ex-Nathan WILLIAMS, Buckwheat ZYDECO, Leroy Thomas) tandis que l’accordéoniste Corey Ledet collabore sur quelques titres. D’autres invités viennent apporter leurs grains de sel, à l’image de Jason Sypher et Jamie Dick, la section rythmique de Rhiannon Giddens et les chanteuses Teka Briscoe et Ahyris Navarre.

C’est à un répertoire personnel auquel il nous convie ici, neuf titres sur quinze étant des originaux, dont quatre de la plume de l’harmoniciste, Powell n’étant pas en reste avec autant de compos, tandis que la troupe cosigne un neuvième titre.

D’entrée de jeu, DERMODY s’offre une petite escapade vers Chicago avec "Trouble No More", titre Chess de Muddy WATERS inspiré par le "Someday Baby Blues" de Sleepy John Estes. Si la rythmique s’avère minimaliste, l’harmonica déroule comme dans un shufle nous renvoyant sur les rives du Delta, à deux pas de la Louisiane. La Louisiane a inspiré plus d’un Mississippien, il est vrai que les deux états sont voisins. Petit succès de Muddy WATERS, "Louisiana Blues" a été mis à toutes les sauces. Ce down home blues a fait le bonheur d’une ribambelle de blues rockers (SAVOY BROWN, FOGHAT, David Gogo ou Paul Rodgers). Là, l’harmoniciste nous délivre une interprétation dans la droite ligne du Country Blues. Malheureusement, le rendu nous paraît un brin scolaire, à moins qu’il ne s’agisse d’un respect exagéré des traditions.

Parmi les compositions, on retient "Don’t Boss Me", à cheval entre Boogie et Rockin’ Blues, preuve que DERMODY sait accélérer la cadence quand le besoin s’en fait sentir. Changement de tournure avec "Forgive Me", un long down home blues de six minutes qui aurait mérité d’être raccourci. Petit interlude de 80 secondes, "Lost John" représente un jeu d’harmonica en solo pour une piste loin d’être indispensable, peut-être mis en place pour permettre à DERMODY de poser ses marques. Avec une basse plus ronde et une guitare qui s’offre quelques timides touches Funky, "Clotilda’s Got Soul" nous expédie au cœur de la Nouvelle- Orléans. Ce titre qui ne déparerait pas dans un album de Boz SCAGGS. "Footsteps In The Hall"*, plus sombre et terriblement répétitif, fort heureusement, ne dure que cent petites secondes. "Tell Me" propose une remontée vers les ghettos de Chicago, tandis que "Mourning Dove" s’oriente vers l'Americana et un Blues hybride pâtiné de Pop. "She Come Running" est pour tout dire assez ennuyeux, on ne saisit pas vraiment où veut en venir DERMODY. Chanté a cappela avec Teka Briscoe et Ahyris Navarre, "Time Ain’t Due" se déguste comme un Gospel sudiste et demeure évocateur des Como Mamas. Enième petit interlude d’à peine 60 secondes avec "Mr Jeff" pour un solo d’harmonica sans grand intérêt.

Parmi les reprises, "Honest I Do", hit de Jimmy REED, vaut assurément le détour ; si le rythme reste extrêmement lent à l’instar de l’original, l’accordéon vient poser de délicates volutes pour transformer le morceau en un excellent Zydeco Blues. Petite escapade vers le Texas avec "Learn To Treat Me Right", titre des FABULOUS THUNDERBIRDS. Là, le curseur monte d’un cran, DERMODY met la grande voile. Le piano et la guitare semblent avoir une surdose de vitamines. Quel dommage que le chant de Grant manque de profondeur ! L’album se termine avec "So Many Roads", un superbe Slow Blues popularisé par Otis RUSH lors de sa période Chess. Cette complainte amoureuse fera l’objet de belles reprises (John MAYALL, Byther Smith ou plus récemment Ronnie Earl), mais le manque de conviction du chant reste hélas rédhibitoire pour une balade sentimentale. Ajoutons-y le manque de tranchant de la guitare et nous avons là un morceau raté qui clôture l’album en eau de boudin.

Au moment de faire les comptes, l’addition risque de paraître salée. Alors qu’on pensait faire un beau et sympathique voyage au pays des bayous, c’est tout juste si on ne se retrouve pas devant un document comme en présente le Sieur Delahousse sur l’une de nos chaines publiques, une sorte de gros plat de résistance qui se révèle au final dépourvu de la moindre calorie, une sorte de coquille vide. Excellent éducateur, honnête harmoniciste, Grant DERMODY se retrouve plombé par un chant fade et inexpressif. Nul doute que ses concerts en géométrie variable doivent prendre une autre dimension. L’enregistrement souffre également d’un manque de limpidité sonore, la faute à des prises uniques comme dans un Live. Ah dernière chose, il n’y a aucun lien entre le titre de cet album et son homonyme édité par Eric CLAPTON.

*Titre homonyme à celui de Saga.