Et après la cavalcade ?

« Il y a toujours quelque chose ». Il y aura toujours un petit bruit, une chiquenaude. (Le docteur) Murphy nous a éduqués avec bienveillance.

En effet, même quand on croit que le rien est majoritaire, ce n’est jamais entièrement le cas. Le vide n’adhère conséquence que grâce à l’espace prenant vie autour de lui. Comme les divinités Ormadz et Ahriman confrontant leurs visions respectives de la petite bourgade de Millgate dans les Pantins Cosmiques, nouvelle écrite par Philip K. Dick, évocations complémentaires mais pourtant objectivement totalement disruptives.

Il y aura toujours quelque chose.

Cavalcade, second album gravé par les BLACK MIDI, ne proposait aucun titre éponyme. Son successeur Hellfire se charge de remettre les pendules à l’heure. Et de quelle manière ! Une stupéfiante entrée en matière !

Une minute trente dissonante, chaotique au possible. Aux cent quinze premières écoutes, c’est ZAPPA le magnifique et sa moustache qui s’imposent assez naturellement. Des mots forts fusent dans tous les sens, fendant l’air en même temps que ce rythme martial : Bruits. Faiblesses. Chair. Éliminer. Tumeur. Casser. Usine. Une menace, bien que théâtrale, presque circassienne, un combat de boxe où tous les coups s’avèrent permis, même les plus vils. Et puis "Sugar/Tzu" apparaît sur le gong, au bord d’une piscine, visiblement apaisé, mais s’agitant soudain via millions de bulles de vapeur.

Une entrée en enfer effective qui, toutefois, avait été préméditée par le premier single "Welcome to Hell", fourmi électrique n’ayant que peu à voir avec la vision proposée par les précurseurs noir-métalliques VENOM. Menée par un riff véloce restant ad vitam æternam en tête et tout droit sorti de Schlagenheim, la chanson narre les tourments traversés par Tristan Bongo, un soldat souffrant d’un syndrome post-traumatique et subissant moqueries et remontrances de son supérieur, ce dernier finissant par le congédier purement et simplement.

Cette géhenne omniprésente, c’est sans doute la pandémie de Covid-19, l’isolement qui en a découlé et frappant le groupe de plein fouet, toujours structuré en trio mais accompagné par de nombreux invités en studio (Kaidi AKINNIBI aux saxophones notamment), lui donnant ainsi un cadre d’écriture insolite pour ce disque, qualifié par le chanteur et guitariste Geordie GREEP de film d’action épique, quand le précédent était un drame. Enregistré au cours de l’été 2021, il poursuit ses expérimentations musicales en adjoignant folk, jazz voire flamenco sur un post-punk toujours saignant, s’autorisant même des histoires narrées à la première personne voire des contes en plusieurs parties.

En effet, le longue-durée The Race Is About to Begin s’intéresse à la suite des aventures vécues par Tristan Bongo, une fois son éviction de l’armée entérinée. Notre héros plonge dans les méandres des courses hippiques, y développant addictions et croisant dans le stade d’autres personnages déjà entraperçus dans l’album, comme Sun Tzu, casaque avant de devenir boxeur. Toutefois, le héros de ce titre math hyperactif, parvenant finalement au calme, ne constitue-t-il pas une seule et unique entité avec Île, humain choisi par l’indescriptible Barf pour participer à une course un peu particulière dans une fascinante nouvelle signée Alain Damasio ?

D’autres personnages inquiétants sont rencontrés entre ces dix murs : un fermier persuadé par un démon de commettre meurtres sur meurtres (intense "Dangerous Liaisons") ou le mystérieux Freddy Frost, décrit par le groupe comme plus jeune que la vie, plus vieux que la mort, peuplant tout entier cet impressionnant final presque industriel "27 Questions", réminiscence des travaux maniaques concoctés par le KING CRIMSON label seventies, nous laissant cois, l’esprit embrûmé par plus d’interrogations que de réelles réponses.

Hellfire fut accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par les critiques. Personnellement, je le trouve un poil meilleur que son plus proche voisin, mais encore inférieur aux intensités caractérisant Schlagenheim, même si en live, il prend une dimension tout à fait impressionnante. BLACK MIDI reste une solide place forte du rock actuel, nul doute à ce sujet.

Toujours publié sur le mythique label anglais Rough Trade, vous devez encore vous poser à ce stade précis une seule question. Non pas Dois-je acheter/écouter Hellfire? mais plutôt : Cette jaquette est-elle un hommage à l’usine fabriquant cette pâte à chewing-gums verdâtre, jungle de briques labyrinthique dans laquelle Louis de Funès se perd, emportant dans sa fuite foule objets hétéroclites ?