En1997, le label anglais ACE édite "Sting It Then!", un concert de Slim HARPO capté à Mobile dans l’Alabama le 1er juillet 1961, soit 36 ans après les faits. La patience sourit aux audacieux. Si une poignée de ces 20 titres avait fait l’objet d’une publication antérieure sur deux compilations, on ne peut que saluer l’effort de cette maison de disque.

Organisé par Percy Stovall, propriétaire d’un night-club à la Nouvelle Orléans et impresario de plusieurs artistes locaux, ce show donné sous une chaleur torride a fait le bonheur d’un public se partageant entre teenagers et de nombreux membres de la Garde Nationale accompagnés de leurs familles, le show se tenant à l’abri d’un hangar appartenant à ce corps d’armée.

Nous sommes donc en plein été 61, outre une chaleur accablante le concert se singularise en étant la première production du guitariste harmoniciste dans la ville de Mobile, ville natale du bluesman Jody WILLIAMS. Enregistré par Joe Drago et David Kearns dans des conditions quasiment artisanales, on doit ce concert à John Thompson (futur général de l’US Army et grand copain des deux précités) qui avait remarqué Slim HARPO et ses King Bees lors d’un concert à l’Université de Bâton Rouge quelques années avant. Depuis le succès de "I’m A King Bee" (future reprise des STONES) en 1957, le guitariste avait enchainé avec plusieurs petits hits et s’était fait connaitre via les programmes radios. "Rainin’ In My Heart" (futur carton des PRETTY THINGS), "Don’t Start Cryin’ Now" (future cover des THEM) ou l’instrumental "Moody Blues" allaient lui permettre de gagner une notoriété nationale jusqu’à l’Angleterre où de jeunes bluesmen blancs en herbe découvraient son répertoire.

Le coffret de Martin Hawkins "Buzzin’ The Blues", consacré à Slim HARPO , nous apprenait en 2015 que quatre titres manquaient à l’appel. Il aura donc fallu attendre plus de 35 ans pour découvrir ce Live quasiment inédit. Les enregistrements sur bandes de Kearns et Drago ont pris la poussière sur une étagère du domicile de Joe Drago à San Francisco. Comme l’écrit David Kearns dans le livret intérieur (12 pages), Joe Drago et lui-même ont pris beaucoup de plaisir à dépoussiérer ces vieilles bandes sonores qui font aujourd’hui figure de document historique sur un bluesman au sommet de sa forme.

Un chauffeur de salle présente en grande pompe Mister Slim Harpo, récent auteur du hit "Rainin’ In My Heart". Slim HARPO & His King Bees débutent les hostilités avec "I’m a King Bee" dans une version extra courte d’à peine 80 secondes destinée à mettre les choses en place. La formation enchaine avec "Buzzin’", un long Swamp Blues typique de la Louisiane. Le Groupe poursuit avec "I Got Love If You Want It", un intemporel entre Rock N Roll et Swamp efficace malgré un effet impondérable de larsen. HARPO reprend quelques unes de ses créations : "Moody Blues" un Swamp extrêmement lent de près de 9 minutes qui aura probablement permis de lancer l’existence de plusieurs couples. Quasiment instrumental, ce down home blues permet à HARPO et Rudolph Richard de mettre en avant leur complicité aux guitares. Seconde version de "I’m a King Bee" dans laquelle l’harmonica et le saxophone prennent une place plus importante. Même chose avec "I Got Love If You Want It". Le show se termine sous les acclamations et à la demande du public sur "Rainin’ In My Heart", titre hyper dansant. Si certains hipsters n’ont pas trouvé leurs belles sur "Moody Blues", les King Bees leur donnent une seconde chance.

Grand maitre d’une atmosphère débridée gorgée de Swing et d’une torpeur évoquant le décor des bayous, HARPO reprend également à sa sauce plusieurs standards du Blues. "Big Boss Man", œuvre de Luther Dixon popularisée par Jimmy REED, dans une veine proche de celle de Frank FROST. C’est autre chose que d’écouter Conway TWITTY, futur repreneur du dit morceau. Le tempo devient plus rude avec "Boogie Chillun", un boogie dévastateur de John Lee HOOKER. Le groupe s’offre un clin d’œil à Lazy LESTER, équipier d’HARPO , avec "Sugar Coated Love", une future reprise époustouflante de Barbara LYNN.
L’harmoniciste délivre également quelques petits inusités s’insérant remarquablement à l’ensemble. Grand admirateur de Jimmy REED, il s’offre une reprise de "You Know I Love You" qu’on croirait sortie tout droit du Bayou Teche ou Bâton Rouge. Il n’oublie pas de reprendre Lee Dorsey avec "Lottie Mo", tout nouveau hit mineur à la Nouvelle Orléans paru en single sur Valiant Records. Dans une ambiance New Orleans, il reprend le "Hold Me Tenderly", de Deadric Malone (alias Don ROBEY) popularisée par Bobby "Blue" BLAND. Autre visite dans le répertoire de BLAND avec "I’ ll Take Care Of You", une compo sucrée de Brook Benton distillée ici sous forme d’un down home blues largement plus buvable. Slim HARPO donne une coloration plus Swamp au "I Don’t Play", une compo de Willie DIXON offerte à Little WALTER. Le guitariste reprend "Everybody Needs Somebody", un inusité de Little WALTER dont il prend bien soin de gommer toute la sonorité chicagoanne. Enfin comment ne pas mentionner l’interprétation débridée et décalée de "When The Saints Go Marchin’ In", repris en chœur par le public dans une version qui allie Country Blues et New Orleans Sound.

Epaulé par une solide équipe rompue à la scène louisianaise et au Swamp Blues, tout le talent de Slim HARPO rejaillit ici alors que le climat politique était extrêmement tendu. Au cours de ce Live, HARPO aura réussit la gageure de plaire à la fois à un public de teenagers, mais aussi à une assistance noire et militaire, preuve d’un Groove inimitable et engageant. Saluons la persévérance de David Kearns et Joe Drago pour nous offrir plus de trente ans après les faits ce document sonore. Soixante ans après les faits, la voix trainante et nasillarde de Slim HARPO , son humour et sa rythmique aussi implacable que maigrelette produisent toujours un effet incomparable.